Théâtre : « Sauvage » de Karin Serres

par | 8 Nov 2023

Karin Serres, prolifique autrice et metteure en scène,  nous revient avec un texte onirique à vocation sociologique et philosophique, Sauvage. Ce texte brillant, par sa force, réveille nos sensations oubliées et enfouies au plus profond de notre être. Mise en scène et interprétée avec brio par Annabelle Sergent, Sauvage fait partie d’un cycle consacré au vivant où la puissance évocatrice des mots balaye le champ de nos certitudes. 

Le texte inspirant de Karin Serres nous entraine au plus profond de nous-mêmes, quelque part où la jeunesse fait fi du formatage de la société. Les insomnies constituant le terrain avancé de  réminiscences où l’imaginaire creuse le lit de la liberté avec son compagnon de route, le lâcher-prise.

La découverte de la forêt s’apparente pour des collégiens en internat à un espace où les bras levés des arbres caractérisent une frontière à dépasser. L’évocation de cette forêt nous rappelle les vagues de Virginia Woolf où l’homme et la nature ne font plus qu’un. L’imaginaire de Karin Serres s’avère moins statique pour Fil, Tak et Dragonfly qui explorent la beauté enchevêtrée et dense de cette jungle. Cette beauté saisissante tant animale que végétale les stupéfie. Mais cette jeunesse, qui joue des sensations et des astuces, caracole avec un cortège de fantaisies naïves et rafraichissantes. La découverte d’une vieille usine où d’une forêt mystérieuse devient le terreau d’une exploration synonyme d’aventure les distrayant de l’ennui de l’internat. L’aspect « sauvage » de leur exploration se pare d’une beauté suspendue par des moments de grâce. Un cerf qui se nourrit travaille leur imaginaire en se fondant dans les abysses de la forêt.

Comme l’autre versant d’une colline, le « sauvage » comporte, pour le vivant, une cohorte de violences inévitables. Les images des flashs de photographes qui déchirent la nuit et les battues de quelques chasseurs perturbent l’équilibre naturel et précaire de la forêt. Les drames se font alors jour. La quiétude s’évanouit et Dragonfly réintègre sa vie de femme, en reprenant le cours de son insomnie au clair de lune.

Annabelle Sergent évolue dans une magnifique scénographie où les contrastes de lumière et la musique nous embarquent dans cette forêt mystérieuse et salvatrice. En interprétant avec brio ces collégiens avec leurs rêves et leur espoirs, elle s’adresse à notre part d’enfance témoin de tous nos fantasmes enfouis et désormais sourds à l’appel pressant à un ensauvagement où la liberté et le lâcher-prise sont unis. Le ralliement de la société à une sémantique davantage négative revêt une traduction toxique formatant le vivant dans un monde d’adultes comportant des libertés restreintes et garantissant tout débordement.

Laurent Schteiner

« Sauvage » de Karin Serres

Conception et interprétation de Annabelle Sergent

  • Dramaturgie / Collaboration artistique : Christophe Gravouil
  • Création sonore Oolithe : Régis Raimbault et Jeannick Launay
  • Scénographie et création lumières : Yoann Olivier 
  • Regard chorégraphique : Brigitte Livenais
  • Costume : Tiphaine Pottier
  • Construction : Pierre Bouglé
  • Pupitreuse : Zélie Carasco
  • Photos : Christophe Raynaud de Lage

 

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