Théâtre : « Pauvre Bitos – Le dîner de têtes » de Jean Anouilh

En 1955, dans une petite ville de province, un groupe d’amis de la bonne société se donne rendez-vous pour un  » dîner de têtes « . Cet événement permet à chaque convive de se glisser dans la peau d’un célèbre personnage de la Révolution Française.  André Bitos, fils du peuple devenu magistrat incorruptible et vertueux, est l’invité d’honneur : il sera forcément Robespierre. Cependant ce repas comporte un autre objectif, celui de ridiculiser André Bitos qui concentre sur lui une hostilité grandissante en raison de sa rigidité envers les « collabos ». Dix ans se sont écoulés depuis la fin de la guerre et certains convives de cette soirée souhaiteraient qu’ils disposent d’un esprit conciliant pour ceux-là mêmes qui se sont « égarés ». Après tout, ils se connaissaient tous ! A travers ce jeu crapuleux,  la tyrannie de la Vertu sera le miroir de la haine de l’autre. André Bitos et son double Robespierre disposant de sa personnalité chétive et moquée seront trainés dans la boue. André Bitos, avec la hargne et le sens de la justice qu’il entend incarner fera face à ses détracteurs dont la situation leur échappe peut à peu. Ce jeu de massacre drôle et grinçant est mis en scène de fort belle façon où le rythme, la scénographie concourent à l’éclat de ce spectacle. Mais il convient de relever la pensée profonde de Jean Anouilh qui met en lumière les masques que chacun porte dans la société et les jeux de pouvoir qui se jouent lors de ce dîner insolite. Saluons la prestation impeccable de Maxime d’Aboville qui incarne ce pauvre Bitos sans oublier les comédiens qui l’entourent. Pièce controversée à sa sortie pour avoir voulu signifier un quelconque procès de la résistance, elle a malgré tout connu un grand succès qui encore aujourd’hui ne se dément pas.

Laurent Schteiner