Théâtre : « L’abolition des privilèges » d’après Bertrand Guillot

La mise en scène de Hugues Duchêne privilégie une disposition du public en un espace quadrifrontal recréant ainsi l’Assemblée Nationale Constituante.  Les spectateurs sont ainsi placés de façon à suivre les débats de cette nuit cruciale qui prévaudra à l’abolition de la féodalité. De facto, les 3 ordres sont reconstitués, la Noblesse, le Clergé et le Tiers-Etat. Maxime Pambet devient le narrateur de cette création où il entreprend de donner vie aux acteurs de cette nuit. Défilent ainsi le Duc d’Aiguillon, le Vicomte de Noailles , Duquesnoy, Delaville, Le chapelier, De Kerangal ou encoure le jeune Talleyrand… Enfin, le clergé représenté par les évêques qui engrangent les bénéfices de la dîme et les curés et les abbés qui sont relégués dans la précarité. Ce qui en ressort est la préparation de ces événements par le Club Breton (les futurs Jacobins). L’objectif est double. Il s’agit de débuter la séance de nuit pour décourager certains députés d’y assister et organiser un plaidoyer de certains nobles afin de déconcerter les députés de cet ordre. L’enthousiasme emporte ses acteurs et les décrets sont votés.

Maxime Pambet recrée toutes ces péripéties tambour battant. Le film de ces événements défile sous nos yeux. L’espace d’un soir, nous sommes partis prenantes avec les députés qui constituaient cette assemblée. Cette création inspirée de l’ouvrage de Bertrand Guillot nous est présentée en 3 parties. La nuit du 4 août, avant la nuit, soit 15 ans plus tôt et la mise en oeuvre des décrets, à savoir leur promulgation. Cette dernière phase s’est opérée dans la contrainte afin de trouver les financements adéquats à cette politique de suppression des privilèges. L’hérédité des charges est abolie de la noblesse ouvrant le champ à leur possible rachat. Mais la difficulté réside dans l’abolition des privilèges du clergé. A cet effet, il fut décidé que l’Eglise serait « nationalisée ». Mais avec quels subsides assurés son traitement ?  La parade fut trouvée en revendant simplement les biens de l’Eglise.

La conclusion de ce spectacle unique, dense et étonnant opère une translation intéressante avec notre époque. Les privilèges ont-ils disparu ? Les crises, qui ont secoué notre monde, ont largement démontré que ceux-ci sont toujours l’apanage de certains. A quand une nouvelle « nuit du 4 août » ? Cette question posée par Hugues Duchêne reste en suspens…

Saluons la performance de Maxime Pambet qui a animé brillamment un narratif historique abondant de manière didactique. La mise en scène originale et enlevée de Hugues Duchêne transpose ce spectacle dans une actualité brûlante où le monde semble vivre un jour sans fin. Un magnifique objet théâtral à découvrir !

Laurent Schteiner