En aparté : Marianne Basler

par | 28 Oct 2022

Marianne Basler qui triomphe actuellement au théâtre des Mathurins avec L’autre Fille d’Annie Ernaux, nous a offert un entretien passionnant sur ce magnifique spectacle et plus généralement sur sa carrière. 

Vous interprétez actuellement l’Autre fille d’Annie Ernaux au Théâtre des Mathurins. Il s’agit d’une reprise car vous l’aviez joué en 2022 à la Reine Blanche, et à Avignon. Comment êtes-vous entrée dans ce projet ? A votre initiative ou on vous a proposé cette pièce ?
Marianne Basler _ En 2015, j’ai lu cette nouvelle qui commençait à m’obséder. J’ai demandé à une amie au bout d’un an de me permettre de lui faire une lecture de ce texte à Raid Hall, université où elle organise des lectures publiques. C’est une organisation de lectures qui s’appelle Texte et voix. Je cherchais la théâtralité de ce texte et je ne l’ai pas trouvé à ma première lecture. Puis un an plus tard, on m’a reproposé une lecture par la voix de Philippe Müller du Festival Grain de sable. Et à ce moment-là, la relecture d’Annie Ernaux a été une vraie déflagration car non seulement ce texte est admirable et en plus il m’obsède. J’avais trouvé un chemin théâtral. Ensuite, je n’ai eu de cesse de poursuivre de le monter. On m’a proposé de faire une lecture à Chalon sur Saône. J’ai décidé d’apprendre le texte et d’en faire un spectacle. J’ai ainsi fait une résidence au Blanc-Mesnil. J’ai pris des décors et j’ai engagé un éclairagiste Franck Thévenon qui avait travaillé avec Jacques Lassalle. Et d’un soir, il y en a eu plusieurs. C’était au théâtre Piccolo à Chalon. De fil en aiguille, j’ai eu une bourse de l’ADAMI… Mais cela a toujours été un combat. Je devais le faite aux Déchargeurs à 19h. Finalement, cela a été à 21h30, ce qui était épouvantable car les gens dorment dans ce quartier. Et puis Avignon a été un succès. Et je crois reconnaitre que les critiques vont vraiment beaucoup aidés. J’écoutais « le masque et la plume » et je les trouvais tous passionnés. Ça reste un rempart car le public, en plus à Avignon m’a extraordinairement suivi. Au bout de 24h, la salle était complète jusqu’au bout. Ça m’a conforté dans mon envie de continuer.  J’ai fait des tournées, en Suisse, à Marseille et c’était toujours plein. Je me disais que l’engouement était tel qu’il fallait continuer. Et grâce à Louis-Michel Colas, j’ai trouvé un créneau horaire acceptable dans un théâtre qui permet aux Parisiens d’y accéder C’est un vrai bonheur. Il y a des soirs qui sont magiques. Mais avant tout ce texte est un choc littéraire !

Pourquoi cette pièce vous tient-elle tellement à cœur ?
M.B. _ D’abord c’est son écriture. Les chocs littéraires que j’ai eu dans ma vie à 15 ans pour un auteur belge, André Baillon, ensuite Lars Noren pour son aspect très organique ainsi que Duras. On part de l’infiniment personnel, de l’infiniment ténu pour arriver à l’universel. Je trouve formidable cet aspect sociologique de l’écriture. Ce côté décapé sans fioritures ni effets de style. Il y a quelque chose qui va droit au coeur et qui me touche beaucoup. De par mes origines nordiques, on est affranchi d’une forme de sophistication.

Avez-vous rencontré Annie Ernaux ?
M.B. _ Oui elle venue me voir au Théâtre des Déchargeurs où malgré l’horaire, la salle était comble. C’était une gageure ! Donc elle était venue et avait été très touchée. Le texte offre une telle amplitude : parfois je suis plus légère et / ou le tragique et la violence interviennent qui remportent comme beaucoup d’écrits d’Annie Ernaux une forme de violence. Parce que la société est violente. Elle disait qu’à 20 ans : « elle voulait venger sa race ». Je trouve ça merveilleux. Cette phrase fait bondir certaines personnes mais moi, je trouve ça formidable avec tellement d’amour comme elle dit en parlant de sa mère : « j’ai écrit contre elle, pour elle ». Elle a tout dit. On est toujours contre ses parents. Je pense à cette mère omniprésente. Quand j’ai vu son film Les années Super 8, passé à Cannes, j’étais tellement émue de voir cette mère dont je parle tous les soirs qui est devenue un peu ma mère, de voir tout ce qu’elle remporte, de force, de violence, de douleur et de joie. Tout ce que renferme la complexité de ce rapport qu’Annie Ernaux décrit qui est le transfuge de classe qui est tellement propre à notre histoire commune au début du XXe siècle. 80% des familles étaient ouvrières. Leurs enfants sont allés étudier et devenus lettrés alors que leurs parents continuaient à être analphabètes. Rien que ça vaut tous les livres qu’elle a écrit : ce fossé entre la mère qui a donné le plus grand des amours à sa fille, qui lui a donné l’ambition, l’espace pour étudier. Je pense que cette oeuvre violente et pleine d’amour.

 

Avez-vous ressenti un effet prix Nobel en termes de fréquentation ?
M.B. _
J’ai débuté un jeudi. Les 2 premiers jours étaient un peu balbutiants car peu de gens savaient que j’avais commencé. Très vite, le samedi s’est rempli et dimanche un peu plus. Et e jeudi d’après, elle avait le Nobel. Donc bien évidemment, ça joue mais il faut compter aussi avec l’accompagnement de la presse. 

Comment travaille-t-on un texte comme celui-là ? Un texte si exigeant, fort et dense aux ramifications intimes ?
M.B. _  Au début je disposais d’une compagnie mais pas de moyens financiers. J’ai décidé alors de faire cela avec mon compagnon, qui a fait la Comédie Française, qui a joué comme beaucoup avec Jacques Lassalle. C’était très difficile car j’étais aussi metteure en scène et lui très peu disponible. J’ai sollicité d’autres regards, des amies comédiennes dont Elodie Menant dans mes premières représentations dans mon salon. J’ai beaucoup avancé seule, lentement mais beaucoup à l’instinct. Comme je faisais beaucoup de lectures publiques, j’ai pris des musiques très connues évidemment à ne pas mettre dans un spectacle mais qui m’ont permis de découvrir les ressorts du texte. Puis j’ai réalisé un montage très lentement. J’ai ainsi pu tenter plein de choses.

On vous prête une exigence concernant le choix de vos rôles. Précisément, quel type de rôle retient votre attention ou vous nourrit tout simplement ?
M.B. _  Je m’intéresse aux auteurs plus qu’à un rôle. Au cinéma, j’ai un long partenariat avec Paul Vecchiali, son regard. J’aime que le regard de l’auteur ou du metteur en scène ne soit pas ordinaire, qu’il puisse être inconscient, qu’on laisse la place au non-dit. J’ai aimé des auteurs aussi comme Jon Fosse où la parole est difficile. Il s’agit là d’un autre chemin vers la mémoire comme Annie Ernaux. Chez Jon Fosse, on a l’impression qu’à chaque mot, la mémoire se dérobe. J’avais été aussi très impressionné par Strindberg mais en même temps on n’en sort pas indemne.

Durant votre carrière, quel rôle vous a le plus marqué au théâtre ?
M.B. _ j’ai adoré Célimène, une rencontre assez fondamentale avec la jeune femme que j’étais. J’ai adoré jouer Marguerite Duras dans  Monsieur X dit Pierre Rabier dans sa recherche de Robert Anthelme et dans son ambiguïté avec un homme de la Gestapo.

Quel rôle rêveriez-vous d’incarner
M.B. _J’aurais envie d’aller vers des comédies un peu fêlées.

Quel rôle rêveriez-vous d’incarner ?
M.B. _
J’ai aimé Anthony Hopkins dans le film de Florian Zeller, le Père. Je citerai Cate Blanchett dans Tar où elle a été consacrée meilleure actrice à la dernière Mostra 2022 de Venise ou encore Nina Hoss dans les films de Christian Petzold dans Barbara notamment.

Quels sont vos projets ?
M.B. _ Je jouerais Murnau. Je croise avec la tournée de Huis clos de Sartre. J’ai beaucoup aimé joué Inès, dans les troupes,  mis en scène Jean-Louis Benoit au théâtre de l’Atelier. C’était un rôle très beau, très fort. J’ai fait le film de Maïwenn. Enfin, un projet de film avec Paul Vecchiali.

Propos recueillis par Laurent Schteiner.

 

 

 

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