Faustine Noguès signe le texte et la mise en scène de ce spectacle festif et débordant qui se joue en ce moment au Théâtre de la Reine Blanche. « Surprise Parti » relate en effet l’histoire folle de cet humoriste islandais Jón Gnarr fondateur du Meilleur Parti et élu maire de Reykjavík en 2010, un punk qui sous des airs de bouffon a mis un grand coup de pied dans l’échiquier politique islandais et a proposé une alternative au demeurant valable. Une histoire rocambolesque et drolatique mais qui en dit également long sur la fragilité des systèmes, la perte de confiance dans la parole d’état formatée et le besoin intrinsèque et vital pour les populations de continuer à rêver.

Alors que l’Islande se remet difficilement d’une crise des banques incontrôlable, les élections municipales de Reykjavík voient l’avènement d’un candidat hors normes, totalement à la marge du paysage politique habituel. L’humoriste Jón Gnarr vient en effet de rejoindre la course à la mairie, afin de pointer du doigt la vacuité des partis politiques au pouvoir et des discours électoraux, une blague de potache en sorte, pour révéler avec ironie les absurdités du système en place. Il fonde alors un mouvement totalement libre et punk composé d’artistes en tous genres dont la devise se résume finalement assez simplement : « nous pouvons faire encore plus de promesses que les autres partis parce que nous n’en tiendrons aucune ». Les choses se compliquent lorsque sa candidature séduit de plus en plus de foyers islandais jusqu’à la gagne, sans équivoque.

C’est une drôle d’histoire, une histoire un brin surréaliste teintée de ce sens de l’humour particulier du grand Nord, loufoque et cynique. Pourtant c’est une histoire vraie et force est de constater qu’elle semble même se répéter dans divers endroits du monde en quête de renouveau politique, voire de souffle anarchique. Cette farce qui inspire ici la jeune autrice Faustine Noguès pour ce spectacle enthousiasmant étrille joyeusement la classe politique au sens large, en nous exhortant par la même occasion à réveiller nos envies d’utopies. Une révolution de clowns qui casse les codes de la politique et permet de faire un pas de côté pour ouvrir un peu les perspectives de ce monde chamboulé. Dans cette volonté de déconstruire la mécanique politicienne Faustine Noguès nous régale d’un jeu particulièrement inventif sur la réthorique. En effet chaque candidat lors de sa carte blanche pendant le traditionnel débat télévisé se retrouve cadenassé par l’usage récurrent d’une lettre, l’obligeant à construire son discours avec un choix de mots réduits aux sonorités répétitives. Ces passages des candidats à tour de rôle sont parfaitement réussis, nous renvoyant par un humour cinglant à la déconnexion totale des candidats, à la perte croissante du sens des mots dans les discours de ceux qui dirigent au dépens d’une argumentation vide, commerciale et enfermée dans une logique de marketing. Le candidat dissident d’ailleurs finira par ne plus se plier au jeu pour revenir à un parler vrai, à une honnêteté qui manquait cruellement au débat. Présenté au Théâtre de la Reine Blanche en ce début de saison le spectacle est encore un peu vert. On regrettera quelques longueurs, de plus il faut bien reconnaitre que la limite est parfois très fine entre cabotinage et jeu grotesque. L’ensemble gagnerait en force et en tension comique à être resserré, épuré également dans le jeu de certains acteurs, cela renforcerait aussi l’inquiétude derrière le rire, car enfin le rejet des élites conduit aussi à la montée de populistes dont les volontés sont bien plus angoissantes que celles du trublion islandais. Malgré tout l’ensemble séduit par son originalité et la pertinence de son propos, son point de vue légèrement décalé sur le monde qui exacerbe immédiatement les absurdités de nos démocraties. La scénographie est également remarquable, fourmillant de petites trouvailles astucieuses, à grands renfort de postiches et de costumes exubérants, elle décortique efficacement dans l’espace le bal incessant et mal chorégraphié des puissants et des contre-pouvoirs.

Audrey Jean

« Surprise Parti » texte et mise en scène Faustine Noguès

Collaboration artistique Laurine Frédéric
Avec Léa Delmart, Rafaela Jirkovsky, Ulysse Robin, Nino Rocher, Damien Sobieraff et Blanche Sottou

Théâtre de La Reine blanche
Jusqu’au 27 Septembre à 19h

Le texte est publié aux Éditions Théâtrales. Le texte est lauréat des Journées de Lyon des Auteurs de Théâtre 2019, de l’aide à la création d’ARTCENA, de l’aide à l’écriture BEAUMARCHAIS-SACD et a été sélectionné par les comités de lecture du Théâtre du Rond-Point, de la Mousson d’été et de la Comédie Française. Il a bénéficié d’un accompagnement par le Collectif A Mots Découverts.

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