Pour sa première saison en tant que directeur du Théâtre du Peuple – Maurice Pottecher, Simon Delétang choisit le théâtre contemporain et l’un de ses auteurs les plus emblématiques Wajdi Mouawad. Sur le plateau de la grande scène s’invitent artistes amateurs et professionnels, conjuguant leur talents pour interpréter avec générosité « Littoral ». Tandis que par intermittence la salle s’ouvre comme par magie sur la nature environnante, le public tout entier vibre au fil de la quête initiatique de Wilfrid, partageant à l’unisson les douleurs, les peurs et les errances de ses camarades de marche. Une réussite, et bien au-delà un moment chaleureux d’échanges et d’humanisme.

« A la croisée des chemins, il peut y avoir l’autre ! » Wajdi Mouawad 

Wilfrid est en train de vivre « la baise du siècle » quand le téléphone sonne. Étonnant comme certains coups de fils savent tomber au pire moment, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’apprendre la mort subite de son père. C’est le coup de massue. Mais aussi le début d’un long périple, d’une marche interminable vers le passé, un chemin tortueux où se croisent les morts et les vivants. En cherchant un lieu de sépulture pour son père Wilfrid fait face à ses origines, il se lance à corps perdu dans cette quête pour enfin se trouver.  Au fil de cette aventure en terrain lointain, Wilfrid rencontre des frères et soeurs de malheur, chacun portant un sac chargé d’horreurs sur ses frêles épaules. Ensemble pourtant, ils trouveront le chemin de l’apaisement, ils se laveront enfin de la haine des hommes pour dire au revoir aux guerres, aux pères, et respirer un grand coup les embruns salvateurs du littoral.

« Tel un arbre que l’on élague afin de lui permettre de reprendre de la hauteur, je souhaite que ce premier été se concentre sur l’essentiel, la rencontre entre des publics et des œuvres majeures dans ce site exceptionnel, avec du temps libre pour réfléchir et échanger. » Simon Delétang 

Par ce choix Simon Delétang impose son style et « Littoral » prend ici les allures d’un geste fort. La distribution est comme à l’accoutumée partagée entre comédiens amateurs et professionnels mais elle se distingue ici par sa diversité. Des acteurs d’origines différentes s’emparent de l’aventure de Wilfrid, la propulsant dans une réalité d’aujourd’hui. Simon Delétang n’oubliera pas par ailleurs de positionner son spectacle en revendication, distillant ça et là des images prégnantes qui ramènent le spectateur de manière récurrente à la situation préoccupante et actuelle des migrants. C’est une barque qui apparaît dans la foret, ce sont les tentes éparpillées, images familières et puissantes elles s’imposent avec force dans ce récit. « Littoral » y trouve son universalité, la question de la filiation résonne en chacun profondément mais la thématique de l’exil est alors transcendée. Le metteur en scène réserve également une part importante à l’humour, notamment avec les interventions du personnage du chevalier interprété avec brio par Emmanuel Noblet, des respirations bienvenues, des intermèdes salutaires face à ce texte dont la violence saisit toujours. C’est qu’il nous coupe la respiration Wajdi Mouawad avec la deuxième partie de sa fresque. Devant la porte du théâtre l’équipe avait d’ailleurs pris soin d’en avertir le public « certains passages peuvent heurter la sensibilité des spectateurs » tout en précisant que oui, c’est bien notre monde qui est violent. Force est de constater qu’il est toujours salutaire et nécessaire de l’entendre ce texte, de les faire résonner ces mots même s’ils transportent avec eux avec leur lot d’immondices car évidemment les consciences sont encore à éveiller.

En début de soirée, dans la petite salle à 20h, Simon Delétang interprète « Lenz » de Georg Büchner, texte inspiré de faits réels qui raconte la folie qui gagna un poète face à la beauté de la nature. Un texte assurément parfait pour le Théâtre du Peuple. Après l’avoir joué en itinérance dans les Vosges en Avril Simon Delétang prolonge ainsi la marche, inlassablement, touchant là aussi de près la folie du monde. Ce qu’il reste d’une journée à Bussang, c’est cette sensation d’avoir approché quelque chose de beau et fou, d’avoir respiré un parfum d’utopie. Il y a incontestablement une force en ce lieu, quelque chose dans l’air, une énergie qui nous dépasse. Au vu des choix artistiques du nouveau directeur cette flamme incandescente n’est en tous les cas pas prête de s’éteindre.

Audrey Jean

« Littoral » de Wajdi Mouawad
Mise en scène de Simon Delétang

Avec René Bianchini, Marina Buyse, Jean-Noël Delétang, Simon Delétang, Baptiste Delon, Claudine Deslandes, Martial Durin, Ali Esmili, Sylvain Grepinet, Houaria Kaidari, Michèle Lautrey, Richard Mahoungou, Thibault Marissal, Mathilde-Édith Mennetrier, Emmanuel Noblet, Anthony Poupard, Ousmane Soumah, Sylvain Tardy en alternance avec Clément Bellefleur ou Coralie Bidal ou Marie-Jeanne Burthey

Les 28 et 29 Juillet à 15H
Les 1,2,3,5,8,9,10,12,15,16,17,19,22,23,24,25 Août à 15h

« Lenz » de Georg Büchner
Mise en scène et interprétation de Simon Delétang
Dimanche 29 Juillet, les 5, 12 et 19 Août à 20H

Th̢̩tre du Peuple РMaurice Pottecher

Crédits photos : Jean-Louis Fernandez

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