Après « Un Batman dans ta tête » David Léon et Hélène Soulié collaborent de nouveau pour nous proposer une forme atypique autour d’un texte à l’énergie viscérale. « Sauver la peau » fait écho au précédent spectacle et livre, dans une atmosphère feutrée, une logorrhée  fragmentée déchirante et déversée avec une précision ciselée par le comédien Manuel Vallade. N’hésitez pas à découvrir les deux pièces actuellement à l’affiche du Théâtre Ouvert, elles se répondent parfaitement sous la forme d’un diptyque énigmatique et donnent à voir le travail remarquable de ce tandem !

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Hélène Soulié sait véritablement trouver le dispositif scénique idéal pour accompagner la langue organique de David Léon. On retrouve à l’instar d’« Un Batman dans ta tête » une scénographie simple et ambitieuse, axée notamment sur un jeu autour du reflet avec un parterre de miroirs craquelés, un jeu qui tend à mettre le personnage face à sa réalité, à sa propre peau. Il y a dans ces deux textes la même violence, lancinante, la même folie que l’on retrouve chez les deux personnages prénommés tous deux Matthieu et dont on analyse le dysfonctionnement, la destruction. Est-ce que ce sont les deux mêmes ces Matthieu dont la parole heurtée nous parvient ici par bribes ? Peu importe finalement, car ils sont des milliers les Matthieu, écrasés par le carcan familial, compressés par celui de l’éducation, détruits par tout autant de micro-agressions qui font à l’usure dérailler la machinerie. En pointillés, derrière le phrasé saccadé de Manuel Vallade irréprochable dans cette partition délicate, le décryptage du mécanisme de cette maltraitance quotidienne, celle qui broit les êtres et étouffe les idéaux. David Léon est un auteur c’est incontestable; à travers un style percutant à la mélodie reconnaissable hachée et méthodique, il dénonce frontalement notre identité en crise. Ici bien que nourrie par un unique acteur la parole est multiple et les mots des uns et des autres se croisent et se fondent dans une polyphonie parfaitement maitrisée. L’auteur dit, la mère dit, le père dit … des mots rapportés qui délimitent ensemble un espace unique; l’espace fou du langage, un espace destructeur et salvateur à la fois d’ou jaillit alors une parole fragmentée, comme un cri de détresse pour ces enfants que l’on perd. Chaque jour. Les Matthieu ont des frères, des mères, des éducateurs, autant de témoins ou de complices de ce jeu de massacre, cette guerre psychologique qui écrabouille les destins. Alors ici la littérature, le verbe, la parole comme une arme ultime , un dernier recours pour ne pas sombrer, être englouti par ce flot de laideurs. Pour survire à la violence ordinaire d’une famille dans le désamour, pour oublier les trains qui explosent les visages, pour la sauver, la peau. C’est tout ce qui lui reste à ce personnage vacillant comme possibilité, sauver sa peau à lui puisque Matthieu son frère y a laissé la sienne. Alors dans les mots il se relève. Dans le « je » qui lui écorche la bouche il se redresse. Dans des chaussures à talons il se trouve, laissant entrevoir enfin sa vérité propre libérée de tout les étaux oppressants, laissant voir derrière le miroir déformant sa peau, à lui.

Audrey Jean

« Sauver la peau » de David Léon
Mise en scène d’Hélène Soulié

Avec Manuel Vallade

Jusqu’au 14 Février
Le mardi à 19H
Du mercredi au samedi à 20H
Le samedi à 18H

Théâtre Ouvert, centre national des dramaturgies contemporaines

Le texte est intégralement disponible aux éditions Espaces 34

http://www.editions-espaces34.fr

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