Après le très réussi « Dormir 100 ans » Pauline Bureau s’attaque à un sujet de fond particulièrement présent dans l’actualité le scandale du Médiator .Avec « Mon cÅ“ur  » elle suit le parcours de l’emblématique Irène Frachon  bien sûr mais choisit principalement de se placer du côté des victimes. Ainsi c’est l’histoire de Claire Tabard que l’on découvre la boule au ventre, c’est à son coeur que le rythme du notre s’accroche pour ne plus le lâcher. Un spectacle éprouvant, magnifique et terriblement nécessaire.

Claire a toujours eu du mal à s’accepter, à se trouver jolie. Contrairement à sa soeur ronde et bien dans sa peau, Claire a toujours eu des complexes. Après la naissance de son fils les kilos en trop deviennent un peu plus lourds à porter. Alors quand son médecin traitant lui propose du Médiator pour l’aider à maigrir, elle n’hésite pas. Pourquoi se méfier après tout ? Si les pharmaciens le vendent, si les médecins le prescrivent, si les gens le prennent, tout va bien. Sept ans plus tard le cÅ“ur de Claire tressaille, sursaute, déraille. Une opération à cÅ“ur ouvert pour changer deux valves abîmées et la réalité brutale, violente à couper le souffle au moindre mouvement. Tout ne va pas bien, la vie ne sera plus jamais la même.

Après le cinéma avec le film d’Emmanuelle Bercot c’est donc au tour du théâtre de représenter cet effroyable scandale de santé publique. Et à l’instar du film ce seront avant tout des interprètes qui vont incarner avec maestria cette histoire, avec tellement de sincérité et de générosité qu’ils nous donnent parfois l’impression qu’il s’agit là de leur propre vie. Toute la distribution excelle au sein de cette partition délicate, tant dans le registre de l’humour avec des scènes grotesques pour caricaturer l’absurdité des méandres administratifs que dans des passages plus chargés, sensibles ou même douloureux. Pour en citer quelques-uns en particulier, Marie Nicolle et Catherine Vinatier incarnent à la perfection ces deux héroïnes ordinaires que sont Claire Tabard et Irène Frachon, chacune dans deux parcours bien distincts mais avec la même lumière. Nicolas Chupin apporte sa tonalité décalée avec le personnage de l’avocat sans oublier de le teinter de douceur. Quant à Rebecca Finet elle est juste irrésistible. Les acteurs, sous la plume et la direction de Pauline Bureau, réalise ici une prouesse, sur le fil de l’émotion de bout en bout ils ne tombent jamais dans l’écueil du larmoyant mais trouvent en permanence la juste distance.

Comme à son habitude Pauline Bureau d’ailleurs soigne son esthétique, prenant le temps de composer chaque scène comme un plan cinématographique, et installant avec précision les enjeux de chaque moment, là ou d’autres souhaiteraient un rythme trépidant à la hauteur des nombreux rebondissements de l’affaire. Ce parti pris de mis en scène rend justice au statut de victime et place le spectateur sous le prisme de l’émotion pure. Il ne s’agira pas là de transposer à la scène un énième fait divers mais d’incarner réellement la longueur interminable des procédures, les épreuves répétées et absurdes auxquelles font face les victimes ou les lanceurs d’alerte, l’immensité infinie, abyssale des douleurs de familles entières. Que ce soit pour Irène, pour Claire, pour sa soeur ou son fils, le temps ici a son importance à l’image de ce rythme cardiaque intermittent, le temps de l’humain, le coeur qui bat et qui définit intrinsèquement le passage de la vie à la mort. Il agresse d’ailleurs parfois ce son, elle nous éprouve cette pulsation malade qui revient épisodiquement dans le spectacle mais elle rassure aussi. Tant que le cÅ“ur de Claire bat, ce sont les victimes qui se battent. Encore.

Audrey Jean

« Mon cœur » texte et mise en scène de Pauline Bureau

Avec Yann Burlot, Nicolas Chupin, Rebecca Finet, Sonia Floire, Camille Garcia, Marie Nicolle, Anthony Roullier et Catherine Vinatier

Scénographie : Emmanuelle Roy

Jusqu’au 1er Avril
Du mardi au samedi 20h30
et matinées les samedis 15h30

Théâtre des Bouffes du Nord

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