Julien Gosselin et son électrisante mise en scène de l’emblématique roman de Michel Houellebecq sont de retour au Théâtre de l’Odeon jusqu’au 1er Octobre. « Les Particules élémentaires » traversée a la fois cynique et poétique, épopée rock aux accents post soixante-huitards révèle ici son potentiel furieusement romantique et rebelle notamment grâce à une distribution impeccable. Un exploit scénique  impressionnant tant au niveau de l’appropriation de ce roman-fleuve que du rendu esthétique absolument stupéfiant.

Deux anti-héros, deux demi-frères, et deux quêtes d’absolus radicalement opposées. Michel aime la science, Bruno aime le sexe. Michel est pragmatique et sobre autant que Bruno est brutal et avide. Les années 68, la drogue, la liberté sexuelle, un monde qui change, une violence qui se dessine avec des idéaux qui disparaissent. Au travers du destin croisé de ces deux frères Houellebecq dresse un bilan cru et politiquement incorrect des cinquante dernières années. Mais derrière l’ironie et la noirceur, il nous exhorte aussi à aimer, à souffrir, à penser, à vivre plus intensément.

Énorme succès au Festival d’Avignon en 2013 ainsi que lors d’une première programmation au Théâtre de l’Odéon, l’adaptation « les Particules élémentaires » a impressionné par sa densité, sa liberté, sa fougue. Réputé impossible à monter, cynique et ironique au possible, le texte phare de Michel Houellebecq se transforme ici sous la houlette de Julien Gosselin en une matière mouvante assez indéfinissable, autopsie clinique d’une société en déclin mélangée à un plaidoyer brûlant pour une révolution permanente, parcours intime de deux frères tout autant que portrait grand-angle acide d’un monde en permanente contradiction. Pourtant ce magma profondément littéraire, philosophique est également purement théâtral, vivant et furieux, il se déverse dans l’urgence de revendiquer, dans la violence de vivre et devient, portée par la voix et les corps engagés des acteurs un long cri de révolte. La fin d’un monde ou le début d’un autre, peu importe, le spectacle est hypnotique, cathartique, saccadé par des intermèdes musicaux ou vidéos, l’ensemble est total, radical. Julien Gosselin a par ailleurs adapté ensuite le roman-fleuve de Roberto Bolano « 2666 » exactement dans la même veine et avec le même talent. Grâce à cette reprise pour « Les Particules élémentaires » intervenant donc après, le spectateur peut saisir l’ampleur de la démarche. Il est en effet fascinant d’assister à la mise en place de cette mécanique d’une efficacité redoutable, cette maîtrise absolue de la fusion, de la déconstruction de l’objet littéraire aboutissant à la proposition scénique la plus entière. Les acteurs de la compagnie « Si vous pouviez lécher mon coeur » y sont incontestablement pour beaucoup, intenses, investis, ils ne sont jamais dans la demi-mesure mais incarnent véritablement cette génération aspirée par le suicide du monde occidental. Toute la partition y est savamment morcelée, distribuée à bon escient pour que chacun ait un espace de parole, une possibilité de révolte sur ce plateau ouvert où se fondent avec brio plusieurs espaces de vie, plusieurs enjeux aussi. Quatre heures qui filent à toute vitesse, quatre heures où l’on rencontre un génial ersatz de Houellebecq en témoin distancié de son oeuvre, quatre heures qui donnent terriblement envie de s’y replonger. Julien Gosselin ouvre avec cette mise en scène une nouvelle perspective de liberté, il nous plonge dans une fresque puissante, un concentré d’émotions contradictoires, de stimuli électriques, une immersion saisissante d’où l’on ressort épuisés mais impatients de vivre plus fort.

Audrey Jean

« Les Particules élémentaires » de Michel Houellebecq

Adaptation, mise en scène et scénographie Julien Gosselin

avec Joseph Drouet, Denis Eyriey, Antoine Ferron, Noémie Gantier, Carine Goron, Alexandre Lecroc-Lecerf, Caroline Mounier, Victoria Quesnel, Geraldine Roguez, Maxence Vandevelde

Odéon – Théâtre de l’Europe
Du mardi au samedi 19h30 
Le dimanche 15H

 

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