Avec cette reprise Wajdi Mouawad renoue avec la forme épique, une quête initiatique tentaculaire et fascinante. « Tous des oiseaux » explore en effet le séisme familial issu de la rencontre amoureuse entre Eitan et Wahida. Une histoire de famille qui se déchire pour mieux appréhender les racines du mal qui ronge notre monde, notre rapport angoissé à l’autre. L’autre ou plus précisément celui que la société, l’histoire ou la religion désigne comme notre ennemi.


Eitan et Wahida, le hasard d’une rencontre. Lui juif, elle arabe, Roméo et Juliette des temps  modernes en proie aux tourments de l’histoire malgré eux, écrasés par le poids des traditions contre leur gré, pris dans une tempête en forme de secret pesant et poisseux.  Force est de constater que Wajdi Mwouawad n’a pas choisi la simplicité. Quatre langues se croisent en effet sur le plateau, hébreu, allemand, anglais et arabe seront ici les représentants d’un monde globalisé et éclaté à la fois, chacune de ces spécificités linguistiques, de ces accents, de ces mélodies particulières amèneront avec elles l’histoire du monde et de ses conflits. Comme souvent chez Wajdi Mouawad le processus créatif part d’une histoire personnelle, en l’occurence sa rencontre avec Nathalie Zemon Davis. Il est auteur québécois d’origine libanaise vivant en france, elle est historienne juive et a écrit un ouvrage sur un diplomate musulman Hassan Ibn Muhamed el Wazzan converti de force au christianisme. De cette rencontre naît un échange régulier, une correspondance qui ouvrira des perspectives de récit à Wajdi Mouawad, une narration en forme de quête initiatique comme souvent dans son oeuvre, une fresque épique et dense où s’ouvre une multitude d’horizons. La force de l’écriture de Wajdi Mouawad réside dans son habileté à conjuguer la violence quotidienne de nos vies avec un lyrisme sidérant. Avec « Tous des oiseaux » il va cependant encore plus loin, il enchevêtre la grande histoire à la petite, observant en loin le conflit israëlo-palestinien au travers du prisme intime de cette famille déchirée, au travers de ces jeunes gens dont les vies semblent dictées par leur héritage. Sommes-nous conditionnés par notre histoire passée, individuelle comme collective ? En faisant le parallèle avec la génétique, l’aspect clinique et scientifique de la descendance et de la transmission il pose avec brio les bases d’une réflexion profonde sur la répétition inéluctable des grands conflits de notre siècle. Eitan au terme de sa recherche de vérité traverse plusieurs émotions, il semble entraîné dans un tourbillon qui se révèle à chaque pas plus embrumé, son aventure semble inextricable et révèle une dramaturgie extrêmement complexe. La scénographie plastiquement impeccable contribue amplement au voyage, offrant durant quatre heures un paysage fascinant et pourtant d’une grande sobriété.  Cette création met également en lumière des acteurs admirables d’autant plus qu’ils interprètent tous leurs personnages dans plusieurs langues avec une maîtrise époustouflante. On retiendra notamment Jérémie Galiana qui incarne le jeune Eitan, brûlant de bout en bout d’une fougue contagieuse, un de ceux qui portent en eux la flamme d’une utopie construite de rage et d’espoir mêlés. Leora Rivlin dans le rôle de la grand-mère Leah est également excellente et ponctue régulièrement le récit d’un humour acide et salutaire. Le décalage apporté par son personnage permet de détendre cette atmosphère parfois empesée de non-dits, de secrets de familles enfouis, de prendre un peu de hauteur face aux clichés véhiculés sur chacun selon son appartenance culturelle ou religieuse, et enfin de faire preuve d’auto-dérision face à notre peur de l’autre. Alors, contre les obscurantismes, contre les convenances et pour notre liberté, notre salut, à l’instar  d’Eitan, nous nous battrons mais nous ne nous consolerons pas.

Audrey Jean

« Tous des oiseaux » texte et mise en scène Wajdi Mouawad 

Avec Jalal Altawil, Jérémie Galiana, Victor de Oliveira, Leora Rivlin, Judith Rosmair, Darya Sheizaf, Rafael Tabor, Raphael Weinstock et Souheila Yacoub

Spectacle en allemand, anglais, arabe, hébreu surtitré en français

Reprise du 5 au 30 Décembre 
au Théâtre de la Colline

Share This