L’univers crépusculaire et mélancolique de Jean-Luc Lagarce est bien là , à peine caché dans les replis de la tenture à paillettes rouges. Jacques Michel y offre une performance d’acteur remarquable en incarnant « La Fille » dans « Music-Hall ». Au gré d’une mise en scène raffinée de Véronique Ros de la Grange, le monologue laisse planer derrière lui tout le parfum amer des gloires déchues.
« La Fille ». Passé glorieux, histoires de scènes à revendre, celle qui enivra tant et tant de spectateurs est là devant nous, juchée de manière crâne sur son tabouret. Un port de tête altier, une présence scénique incontestable et le besoin insatiable de revivre en boucle ses souvenirs. A l’aube de la fin, la fin d’une vie de show, d’applaudissements et de paillettes que reste-t-il ? Les souvenirs sont là , pourtant, tout autour. Cachés dans les coins et recoins de cette salle au kitch désuet, ils sont là les restes du succès. Alors « La Fille » s’en drape pour mieux ressentir encore ce frisson, une dernière fois, elle livre de ses forces ultimes le combat contre la solitude à venir, la nostalgie qui va à coup sûr la terrasser.
En choisissant de confier l’interprétation de sa reine de la nuit à un homme, Véronique Ros de la Grange reste finalement fidèle à l’esprit de Lagarce et accentue légèrement le vertige de la chute. Elle teinte d’étrangeté la confession de l’actrice soulignant avec le travestissement la beauté et la fragilité de cette créature, une déesse du bal déjà perdue, déjà naufragée. La fêlure n’a pas de genre et Jacques Michel transcende de son phrasé millimétré le discours désabusée de la danseuse. Il maitrise chacun de ses souffles, chaque geste, chaque esquisse de danse et tient sur ses seules épaules toute la partition. En effet les autres personnages du texte original, les boys qui prennent place aux côtés de l’artiste seront simplement évoqués, déjà flottants dans les limbes de l’oubli. Reste la langue de Lagarce, dotée de cette mélodie particulière, et qui parvient dans un bel équilibre de noirceur et d’humour à retranscrire l’âpreté de ce constat, la gloire est passée. Exit les plumes, les confettis, on range le décor, on tombe les paillettes, il est temps de dire au revoir. En fond nous parvient, lointaine déjà , la voix enivrante de Joséphine Baker, comme une douce berceuse. « La Fille » est prête, le show est terminé.
Audrey Jean
« Music-Hall » de Jean-Luc Lagarce
Mise en scène de Véronique Ros de la Grange
Avec Jacques Michel
Jusqu’au 2 Avril au Théâtre de la Reine Blanche à  21hÂ
en Janvier : les mardis 12, 19 et 26
en Février : les mardis 2, 9, 16, 23 et jeudi 25
en Mars : les mardis 1er, 8, 15, les jeudis 10, 17 et les samedis 12 et 19 et du mardi 22 au samedi 26, et du 29 au 31
en Avril : les 1er et 2