François Rancillac démarre l’année 2015 avec une mise en scène magistrale de « La Place Royale » à l’affiche du Théâtre de l’Aquarium jusqu’au 1er Février. Ce texte puissant de Pierre Corneille évoquant les noirceurs du sentiment amoureux est relativement peu joué, et résonne ici d’une modernité époustouflante. A ne pas manquer !

LA PLACE ROYALE -

Alidor et Angélique s’aiment d’une passion dévorante. Ce sentiment réciproque et en apparence positif fait pourtant naître chez Alidor une angoisse insurmontable de ne plus être maître de lui-même. Plutôt que de se succomber aux charmes envoûtants de la belle Angelique, il décide de se libérer de son emprise afin de retrouver la souveraineté sur ses pensées. De manière froide et machiavélique il dessine alors la toile implacable qui lui permettra d’échapper au sortilège d’amour. Amener la jeune femme à rompre et ensuite la pousser dans les bras de son alter ego Cléandre, tel est son plan et il sera prêt à tout pour arriver à ses fins, peu importe les sentiments des autres protagonistes de l’affaire. Evidemment tout ne se passera pas exactement comme prévu …

Dans la très belle salle du Théâtre de l’Aquarium François Rancillac fait éclater toute la flamboyance de la plume de Corneille. Avec près de quatre siècles d’avance l’auteur avait en son temps une réflexion extrêmement précise et radicale sur le rapport amoureux et la nature humaine. Il pointait déjà avec un délicieux cynisme toute la complexité du conflit intérieur entre peur de perdre sa sacro-sainte liberté individuelle et don total de soi à l’être aimé. En assistant à ce ballet orchestré avec maestria le spectateur prend pleinement conscience de l’intemporalité du questionnement sur la condition humaine. Les problématiques sur la maitrise du soi sont en effet terriblement à l’orde du jour au cÅ“ur d’une société de plus en plus déshumanisée, et les rapports amoureux en perpétuel changement avec l’avènement d’internet. Quelle jubilation alors de voir ses personnages se débattre avec les mêmes questions qui nous hantent aujourd’hui, plus ou moins consciemment. L’homme dans sa condition n’évolue-t-il finalement pas du tout ? Pour Corneille sa liberté fondamentale est de pouvoir exercer sa volonté en toute chose sans aucune entrave et l’amour dans son aveuglement ôte un peu de cette capacité, c’est amer et c’est surtout un écho terrible à l’individualisation constante du monde contemporain. Se croisent donc sur cette place royale des personnages extrêmes, radicaux, et par là furieusement séduisants; François Rancillac leur servant un écrin de choix dans une scénographie aux accents baroques, au design épuré et signée Raymond Sarti. Au centre du plateau dépouillé une arène de cendre et de bois sera le terrain du piège d’amour d’Alidor. Toute la perversité des hommes pourra s’exercer là dans cet espace confiné, accentué par une mise en abîme judicieuse sur l’acteur. Parlons en des acteurs la distribution est aussi éclatante que la langue précieuse de Corneille. Hélène Viviès bouleverse l’auditoire et subjugue par sa simple présence, tandis que Christophe Laparra que nous avions largement plébiscité cet été à Avignon lui tient tête avec intensité. Saluons également la performance dans un registre plus comique de Linda Chaïb, toujours excellente et qui s’amuse follement dans le rôle de Phylis. Assange Timbo, Nicolas Senty et Antoine Sastre complètent cette distribution avec brio pour un rendu parfaitement orchestré. « La Place Royale » est incontestablement le spectacle incontournable de la rentrée !

Audrey Jean

« La Place Royale » de Pierre Corneille
Mise en scène de François Rancillac

Avec Christophe Laparra, Hélène Viviès, Linda Chaïb, Assane Timbo, Nicolas Senty, Antoine Sastre

Jusqu’au 1er Février
Du mardi au samedi à 20H30
Dimanche à 16H

Théâtre de l’Aquarium
La Cartoucherie
Route du champ de Manœuvre
75012 Paris

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