Robin Renucci signe actuellement la mise en scène de « La guerre des salamandres » une fable visionnaire adaptée du roman de Karel ÄŒapek, un spectacle choral et trépidant qui nous interroge avec force sur l’éternel recommencement des erreurs humaines. Programmée à la Maison des Métallos avant une belle tournée cette création rend également, par le biais de sa recherche scénographique, un formidable hommage à la magie de l’illusion théâtrale.

Le capitaine Van Toch découvre lors d’une de ces nombreuses expéditions lointaines, d’étranges créatures, vivant sous les mers et capables d’intelligence, les salamandres. Touché par leur fragilité d’abord il s’y attache mais très vite il voit également en elle la possibilité de s’enrichir notamment grâce à un trafic de perles rapidement exponentiel. L’exploitation des salamandres prend un nouveau virage lorsque le capitaine s’associe avec le riche industriel Bondy, arrivent alors humiliations, violences, et finalement esclavagisme pur et dur. Mais à trop leur apprendre, à trop les éduquer pour mieux les exploiter, les hommes finissent par donner aux salamandres les clefs de leur future émancipation.

Le roman de Karel ÄŒapek se situe quelque part entre Jules Vernes et Orwell, entre  grand récit d’aventures, histoire fantastique et pittoresque, et projections glaçantes dans un futur sombre où incontestablement l’homme court à sa perte. Il y est question en effet de sujets intemporels qui résonnent cruellement avec notre société contemporaine, la lutte contre les totalitarismes de toutes les formes, l’assujettissement de catégories dites inférieures de la population, la course au profit maladive et insensée, l’épuisement total des ressources, le dérèglement climatique et bien d’autres thématiques que l’on voit fleurir chaque jour dans nos actualités. Karel ÄŒapek est en cela visionnaire ou tristement cynique, ce qui a été sera encore et encore, qu’il soit question de salamandres du futur ou de tout humain que la société a d’ores et déjà par le passé humilié, stigmatisé, isolé voire violenté. Robin Renucci s’empare de ce matériau dense, politique et romanesque pour questionner le spectateur sur le monde d’aujourd’hui mais aussi pour démontrer la force de la machinerie du théâtre. Les interprètes s’amusent de cette mise en abîme, grâce à une foule de détails, de trouvailles scénographiques on assiste à une construction savamment orchestrée, à la mise en place méthodique de toute une machinerie ludique et festive pour nous conter une histoire rocambolesque dont on connait malheureusement l’issue tragique. Il y a beaucoup de pédagogie, d’humour et d’intelligence dans le travail des Tréteaux et cette création ne déroge pas à la règle. Sur le fond  « La guerre des salamandres » s’avère être un remarquable écho au précédent spectacle de Renucci « L’avaleur » dans ce traitement drôle et froid de la montée d’un capitalisme effréné, dans cette interprétation grinçante et féroce d’un monde aveuglé au bord de l’explosion. Les acteurs eux s’y amusent follement, la dramaturgie est riche, les rôles à se partager nombreux et passionnants,  les comédiens virevoltent, se déguisent à l’infini pour incarner toute la galerie de personnages exubérants de cette trépidante fable d’anticipation. Mention spéciale enfin pour le travail sur les costumes et les finitions sur la création lumière et sonore qui contribuent à la très belle facture de l’ensemble. Du théâtre populaire et malin,  un spectacle qui questionne l’humain, la diversité et qui nous exhorte à réfléchir, à s’engager , à décider peut-être que le monde vaux finalement bien plus que ce que nous en faisons.

Audrey Jean

« La guerre des salamandres » mise en scène de Robin Renucci
Adaptation Evelyne Loew, à partir de la précieuse traduction de Claudia Ancelot
(1925-1997) parue aux éditions La Baconnière

avec Judith d’Aleazzo, Henri Payet en alternance avec Gilbert Epron, Solenn Goix, Julien Leonelli, Sylvain Méallet, Julien Renon, Chani Sabaty

Scénographie Samuel Poncet
Lumières Julie Lola Lanteri Cravet
Costumes Jean Bernard Scotto assisté de Célia Delestre et Judith Scotto

Maisons des Métallos jusqu’au 28 octobre
mardi, mercredi, vendredi à 20h
jeudi, samedi à 19h
dimanche à 16h

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