Carole Fréchette nous revient avec une pièce forte et émouvante Je pense à Yu qui se joue actuellement au Théâtre Artistic Athévains. Cette pièce ne peut laisser personne indifférent tant l’enchevêtrement de la petite et de la grande Histoire s’apprécient paradoxalement en se trouvant intimement mêlées puis en se distanciant logiquement. Ce va-et-vient entre ces deux réalités affirme la prédominance de l’une par rapport à l’autre au fil de la pièce. Cette œuvre nous interroge sur une problématique existentielle : peut-on détacher sa propre existence de la grande Histoire ?

Madeleine est traductrice et vit seule. Délaissant son travail, elle passe le plus clair de son temps sur internet à la  recherche d’informations concernant un chinois, Yu Dongyue. Ce jeune étudiant, aidé de deux de ses amis, avait lancé le 23 mai 1989 des coquilles d’œufs remplies de peinture rouge sur le portrait de Mao, en guise de protestation lors des journées qui ont marquées de façon indélébile les événements de la place Tienanmen. Emprisonné, il purgera 17 ans de prison et en ressortira avec des séquelles mentales importantes. S’attachant à cette personnalité qui avait osé défier l’ordre établi en place, elle revisite chaque moment qui a constitué cet épisode tragique. Pour Madeleine, au-delà de la résistance au joug des hiérarques chinois, c’est la liberté et le sentiment existentiel qui prédominent. Exister, c’est être vivant. Obsédée par ce credo  Madeleine va rencontrer une autre solitude, Jérémie, que la vie a profondément marquée. Il accepte ce sort qu’il l’a enchaîné afin de poursuivre sa vie comme il peut. Cette fatalité, inacceptable pour Madeleine dans un premier temps, finit par la balayer et la dévaster. Tout devient alors relatif. A quelle réalité s’accrocher alors ? Madeleine enseigne à une jeune immigrante chinoise Lin le français. Pressée par Madeleine de s’exprimer sur les événements de mai 1989 sur la place Tienanmen, Lin nous fera d’abord entrer dans une rhétorique propre aux chinois craignant pour leur vie avant de se libérer totalement. Et les révélations de Lin sur Yu Dongyue feront vaciller les certitudes de Madeleine bouleversant sa philosophie de vie à jamais.

yu

L’interprétation des comédiens est simplement magnifique. Marianne Basler et Antoine Caubet sont bouleversants et s’appuient sur des personnages forts qu’ils campent avec subtilité. Yilin Yang interprète avec brio cette chinoise prise aux mailles des réminiscences d’une société chinoise en évolution mais qui s’avère toujours prête à dévorer ses enfants pour défendre le Parti. Les comédiens nous font vibrer par l’intensité qu’ils dégagent. La mise en scène de Jean-Claude Berutti est fluide et inspirée. Elle assure un rythme qui tient le public en haleine. Un très beau moment de théâtre !  

 

Laurent Schteiner

 

Je pense à Yu de Carole Fréchette

Mise en scène de Jean-Claude Berutti

Avec Marianne Basler, Antoine Caubet et Yilin Yang

Décor et costumes : Rudy Sabounghi
Lumières : Dominique Borrini

Théâtre Artistic Athévains
45 bis rue Richard Lenoir

75011 Paris

Résa : 01 43 56 38 32
Du 14 mai au 30 juin 2013

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