Avec une férocité sans pareil et une ingéniosité débordante, Vincent Macaigne s’empare d’une enclume littéraire du XIXe siècle, L’Idiot de Fiodor Dostoïevski, après l’avoir adapté à la scène en 2009. Metteur en scène marqué par la véhémence des formes et des corps, Vincent Macaigne trimballe le spectateur dans une véritable expérience sensorielle relevant d’un grand désordre auditif et olfactif. L’occasion pour les lecteurs de découvrir ou de redécouvrir ce chef-d’œuvre avec un œil ultra-moderne et inondé de part en part d’espoir et de décadence.

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La pièce prend racine dès l’entrée du théâtre où les spectateurs sont invités à suivre des mouvements de danse initiés par les comédiens. Le volume poussé à l’extrême (des boules quies sont même distribuées à l’entrée) contraint l’auditoire à se rassembler et l’effervescence se maintient jusque dans la salle où pendant une vingtaine de minutes, un capharnaüm sonore se déroule sous les yeux du spectateur ébahi. Tout semble possible dans cette parenthèse déroutante où les comédiens se mélangent au public et suggèrent de monter sur scène pour prendre une bière. L’orgie visuelle et musicale laisse soudain place à la pièce adaptée du roman ; recontextualisons un petit peu les choses : la soirée d’anniversaire de Nastassia Filippovna bat son plein (dans un bain de mousse) et le prince Mychkine, alias L’Idiot, jeune homme grotesque plein de fougue remarquablement interprété par Pascal Reneric, débarque dans cette fête déjantée, reflet de la débauche de la classe bourgeoise. La Russie de la seconde moitié du XIXe siècle est le miroir des failles de notre société actuelle toujours avide de progrès et d’argent. À l’époque, le capitalisme est déjà en route sur les chemins de fer. Dostoïevski avait vu juste.

 Question scénographie, le décor est interchangeable, le sang gît sur les murs, la mort est partout versus la vie rêvée comme un carnage, l’apocalypse du monde vivant. « On est tous des dépravés » vocifèrent avec insistance les acteurs sur scène, avec ou sans micro, leur voix résonne et c’est le cri de la déchéance amoureuse qui fait battre le cœur. Qu’est-devenu l’amour dans ce monde misérable, perverti, sale et cupide ?

Symbole d’un amour corrompu, le récit proposé par Vincent Macaigne, une réadaptation de 1000 pages du roman russe, vient symboliser la rage de l’auteur ; la littérature est avant tout un matériau pour exorciser l’inavouable.

 Malgré « la noirceur des faubourgs qui envahit les âmes », c’est une pièce traitée avec drôlerie, le rire est provoqué instantanément par des actions loufoques tout au long de la pièce. Certes, près de quatre heures de jeu, mais Vincent Macaigne envoie valser les codes propres au théâtre avec une mise en scène déjantée qui existe hors scène et qui poursuit le spectateur encore longtemps.

On a beau ressortir éreinté de cette expérience performatrice arrosée de désespoir, et malgré un retour à la folie pour notre cher héros, il y a une note d’espérance (« tout peut renaître dans ce siècle ») déjà présente dans le corps du roman qui prend le dessus, comme si un micro répercutait son chant en silence. La beauté sauvera le monde.

 Coline Rouge

Idiot ! Parce que nous aurions dû nous aimer d’après L’Idiot de Fiodor Dostoïevski
Mise en scène de Vincent Macaigne
Avec Dan Artus, Servane Ducorps, Thibault Lacroix, Pauline Lorillard, Emmanuel Matte, Rodolphe Poulain, Thomas Rathier, Pascal Reneric
Au Théâtre des Amandiers à Nanterre
www.nanterre-amandiers.com

Du 4 au 14 novembre 2014

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