Tandis qu’il va bientôt rouvrir la salle Jardin, le Théâtre 13 entame l’année 2017 côté Seine avec une création coup de poing « Babacar ou l’Antilope » une épopée trépidante qui suit le parcours d’un migrant et sa confrontation brutale à la politique d’accueil européenne. Sidney Ali Mehelleb signe ici un texte puissant, qui oscille entre le réalisme et une forme de poésie abstraite, allégorie parfaitement équilibrée d’un monde qui va mal. Une réussite en tous points !
Babacar observe pendant plusieurs nuits la frontière devant lui, des essais infructueux, la mort toute proche plusieurs fois. Tandis que la plupart des réfugiés tentent de passer la nuit,régulièrement tires au fusil comme des lapins par les gardiens des barbelés, il décide finalement de prendre un autre chemin. Il passera de jour, à la lumière, il le sait, il le sent c’est sa chance. Mais de l’autre côté de la ligne se joue une nouvelle bataille, une guerre contre les administrations, les regards, les politiques, la peur de chaque instant dans l’illégalité. Une nuit pourtant le regard de Gina, leurs respirations s’accordent. Il n’est plus seul mais le chemin est encore long.
C’est avant tout un texte qui séduit ici, une dramaturgie fragmentée au service d’une quête initiatique, d’un chemin semé d’embuches, la trajectoire sinueuse de Babacar vers son objectif, sa survie. La langue est particulière, nerveuse, furieuse, dotée d’une sonorité étrange; une forme de poésie brute et abstraite qui évoque en pointilles la beauté du continent africain,une poésie régulièrement entrecoupée cependant par des scènes électrisantes à la limite de la farce. Les personnages dans ces scènes sont grotesques, dans une hystérie collective ils prennent le pouvoir illustrant parfaitement la comédie de monstres qui se joue sur ce nouveau territoire. Associé à la mise en scène incisive le texte apparaît donc complexe, entremêlant les situations, les trajectoires et les états d’âmes de personnages multiples et profondément différents les uns des autres. Sidney Ali Mehelleb dresse ainsi un constat simple et humaniste: au delà des lignes, des identités ces hommes et ces femmes sont juste des humains qui se croisent, se rencontrent et qui surtout, parfois, se reconnaissent. Pourtant la réalité est pessimiste, l’ensemble est noir, dénué d’espoir il met en avant le cynisme absolu de nos sociétés modernes, prolongeant longtemps après le spectacle la réflexion sur notre positionnement individuel.
Visuellement le spectacle reste exigeant, la scénographie résolument contemporaine fait preuve de sobriété évoquant un tarmac sinistre dans un espace froid et sombre. Symboliquement par intermittence les comédiens utilisent de la terre. Certains la répandent furieusement sur le plateau sans considération aucune pour le matériau tandis que Babacar inlassablement balaye, d’autres lui feront d’ailleurs mordre cette poussière au propre comme au figuré. L’équipe  artistique fait preuve d’une belle intensité, généreux et investis ils servent ce texte haletant avec beaucoup d’énergie et une justesse de chaque instant. Le couple formé par Babacar et Gina est quant à lui remarquable. Mexianou Medenou que nous avions déjà remarqué avec le Théâtre Majâz récemment maîtrise de bout en bout la densité de ce personnage complexe, sans jamais tomber dans une forme de misérabilisme il l’auréole d’un charisme bouleversant. Enfin Vanessa Krycève est la révélation incontestée de cette création, incandescente, totale, elle brûle littéralement sur scène tout en dessinant les contours subtils de la personnalité de Gina. La rencontre fulgurante entre ces deux-là , fil rouge de ce conte contemporain, est de celles qui font vibrer les âmes.
Audrey Jean
« Babacar ou l’antilope » texte et mise en scène Sidney Ali MehellebÂ
Course folle de l’Afrique vers l’EuropeÂ
Avec Nicolas Buchoux, Marie Elisabeth Cornet, Vanessa Krycève, Mexianu Medenou, Eric Nesci, Marielle de Rocca Serra, Fatima Soualhia Manet et Victor Veyron
Jusqu’au 5 FévrierÂ
Du mardi au samedi a 20h
Dimanche 16h
Théâtre 13Â