Grégori Baquet adapte avec beaucoup de sensibilité le dernier roman de Grégoire Delacourt « On ne voyait que le bonheur ». Plus noire que le précédent « La liste de mes envies », qui avait également été adapté avec succès pour le théâtre, cette création exhorte le spectateur à regarder la détresse en face et à en affronter la violence sourde et indicible.

Antoine est un homme banal. Père de famille heureux, deux enfants, une femme qu’il trouve toujours belle au fil des années, un métier somme toute ordinaire mais stable. Courtier en assurances il expertise à tout va, tentant de ne jamais s’impliquer sentimentalement dans ses dossiers même face aux situations les plus tristes. Un jour pourtant, il faiblit, falsifie un rapport et se fait licencier pour cette faute, cette faute unique. Alors c’est l’engrenage, le vernis se craquelle, le portrait de la jolie famille parfaite se déchire en lambeaux. Sa femme le quitte, ses enfants le méprisent, son père est mourant. Un monstre naît en Antoine, un monstre avec une idée horrible qui grandit en lui. Tuer ses enfants et mettre fin à ses jours, à ce moment, pour lui, c’est la seule solution à toute cette douleur. Il tire sur sa fille aînée avant de réaliser immédiatement la folie de son geste. Il est trop tard. Sa fille survit mais défigurée à jamais. Antoine ne meurt pas, hantée pour toujours par ce geste irréparable.

C’est un chemin long et éprouvant qui commence pour eux deux. En miroir, les deux personnages interprètés avec bienveillance par Murielle Huet des Aunay et Grégori Baquet se reconstruisent progressivement alternant doutes, colère, rage et désespoir. Leurs destins nous sont contés en parallèle, comme s’il leur était impossible de se retrouver. Pourtant tous deux guidés par l’amour et la rage de vivre continuent d’avancer tant bien que mal. La mise en scène est astucieuse, dévoilant au fur et à mesure certains ressorts de l’intrigue. En donnant à jouer l’ensemble des protagonistes du roman aux deux seuls comédiens, le metteur en scène opére une distanciation salutaire face à la violence de ce sordide fait-divers et glisse habilement vers une forme d’introspection plus universelle. Malgré quelques longueurs, le spectacle parvient à infuser lentement des émotions contradictoires chez le spectateur, traitant le drame à la juste distance, sans pathos mais de face, avec courage, et surtout sans compromission. Une belle proposition et une première mise en scène de grande qualité pour Grégori Baquet.

Audrey Jean

« On ne voyait que le bonheur » d’après le roman de Grégoire Delacourt
Adaptation et mise en scène Grégori Baquet

Avec Murielle Huet des Aunay et Grégori Baquet

Festival Off d’Avignon
Théâtre Actuel à 10H15

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