Doublement récompensé lors du prix jeunes metteurs en scène 2015, le spectacle « Les Fils de la Terre » se joue de nouveau au festival Off d’Avignon. Adaptée du documentaire éponyme d’Edouard Bergeon, cette création mise en scène par Elise Noiraud dépeint le destin de Sébastien, agriculteur en proie à de grandes difficultés pour maintenir sa ferme à flots. Un immersion passionnante dans un environnent rural en crise mais également au cÅ“ur d’une famille dans la tourmente à bien des niveaux.

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Chronique du réel. A l’image de cet homme, Sébastien, interprété par Vincent Remoissenet, un homme vrai et son combat pour maintenir son exploitation agricole à flots. Un homme comme il en existe certainement des centaines, un homme qui travaille de ses mains, qui se courbe vers la terre, glisse, s’embourbe et chute dans son foin au terme d’une très belle séquence d’ouverture. Après le traditionnel passage de relais père-fils l’exploitation laitière peine à trouver son équilibre. La famille croule sous les dettes et est au bord de l’implosion. Le tribunal accorde à Sébastien un délai de six mois pour enfin relever la barre. C’est la dernière chance : s’il n’y parvient pas, ils devront vendre.

C’est indéniablement un travail abouti et pertinent que nous propose Elise Noiraud; restituant à la fois la sève du documentaire d’Edouard Bergeon et retravaillant la dramaturgie pour en faire une matière théâtrale chargée, une « tragédie rurale ». La scénographie est astucieuse et rend un bel hommage tout en simplicité au traitement cinématographique du documentaire. L’espace du plateau est en effet découpé de sorte que la lumière seule délimite les séquences, les lieux de l’intrigue, permettant de surcroit des glissements rapides d’une scène à l’autre. On retrouve également l’utilisation d’une voix off, cet outil maintient la forme théâtre-récit de bout en bout, et offre ainsi une distanciation avec les personnages ancrés dans une réalité plus concrète. L’adaptation se distingue donc par sa qualité sur la forme mais tend également vers un propos plus universel, la transmission.

Au delà du seul portrait immersif du monde rural contemporain c’est au travers d’un autre sujet que l’on s’attache à Sébastien, sa relation avec son père et le poids étouffant de l’héritage. Comment s’affranchir des rêves, des espoirs que les pères mettent en leur descendance ? Choisit-on sa voie en toute liberté ou sera-t-on ad vitam aeternam conditionné par les attentes et les codes de la génération précédente ? Ici la figure paternelle est particulièrement imposante. Interprétée avec brio par François Brunet l’homme, aride, ne communique avec son fils que par le reproche incessant et est incapable du moindre encouragement. Sans se soucier une seconde des attentes de Sébastien, il le prend en otage en lui incombant la responsabilité de la perte éventuelle de la ferme familiale; paradoxalement il lui reproche également de ne pas être fait pour ce métier, de ne pas être un aussi bon paysan que ses ancêtres, assurant d’ailleurs avec force véhémence qu’il n’y arrivera jamais. Au bord du burn-out Sébastien est pris au piège et ne trouvera finalement jamais de salut. Quoiqu’il fasse quelqu’un pâtira de ce choix et c’est certainement lui, sa famille, qu’il sacrifiera le plus. Evidemment le combat qu’il mène âprement pour sauver sa terre, sa lutte contre les instances du tribunal pour sauvegarder ce que sa famille a construit depuis des années, ces actes sont méritants et beaux. Mais la victoire, s’il en est une, sera forcément amère. Sébastien aurait-il pu avoir une autre vie, un autre métier ? Le débat reste entier derrière les visages fermés autant que derrières les sourires, et c’est bien à ce niveau que la proposition d’Elise Noiraud puise toute sa force. Doté d’une équipe de comédiens investis qui prend véritablement cette histoire à cœur nous transmettant, par sa générosité, son envie d’éclairer le parcours de cette famille, le spectacle « Les fils de la Terre » est assurément de belle facture et invite le public à un questionnement salutaire sur la recherche du bonheur.

Audrey Jean

« Les Fils de la Terre » d’après le documentaire d’Edouard Bergeon
adaptation et mise en scène Elise Noiraud

Avec Aurelien Rondeau, François Brunet, Sandrine Deschamps, Julie Deyre, Sylvain Porcher et Vincent Remoissenet

Festival Off d’Avignon 
Présence Pasteur à 18h20

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