Julien Barret, auteur, linguiste et journaliste a participé à cette 35e édition du Festival « Humour et Eau salée » en animant un atelier d’art oratoire. A cet effet, il nous a gratifié d’une interview passionnante…


Nous vous avons découvert au Festival Humour et Eau salée dans l’animation d’un atelier d’art oratoire. Quel a été votre parcours ?

L’art oratoire, qui est devenu populaire depuis une dizaine d’années, me fascine depuis l’adolescence. Ma première prise de conscience est intervenue au lycée en cours de français. J’écoutais alors du rap. Et je me suis aperçu que les poèmes qu’on étudiait en classe relevaient des mêmes procédés de rimes et de figures de style que le rap. En 2001, j’ai fait un mémoire à la Sorbonne sur la stylistique du rap français que j’ai réactualisé plus tard pour la publication de mon premier ouvrage, « Le rap ou l’artisanat de la rime ». C’est à travers le rap et les mots d’esprit que je suis venu à l’art oratoire. J’ai été guidé par toute cette tradition du mot d’esprit, du double sens et de l’équivoque que l’on voit dans le film Ridicule, alliée à une culture du slam, du rap et du stand-up.

En 2002, j’ai fait un mémoire de DEA sur les jeux de mots et en 2003 un master de journalisme à l’Institut Français de Presse. En tant que journaliste, mon premier travail a été chez Zurban, le magazine culturel parisien de l’époque où, dès 2004, je faisais des critiques de one-man-show. Ensuite j’ai travaillé pour pariscope.fr. A l’époque, j’allais au théâtre tous les soirs, pour voir des spectacles de stand-up notamment, avant d’en faire la recension, et j’ai continué en créant le site criticomique.com en 2008.

En tant que journaliste culturel et comme linguiste, je me suis toujours occupé de la performance vocale, qu’il s’agisse d’analyser les codes du stand-up à travers des critiques de spectacle ou écrivant des livres, notamment « Ecrire à voix haute » avec le slameur Souleymane Diamanka sur le slam, le griot, l’art oratoire, publié 4 ans avant la sortie du film « A voix haute ». Maintenant je me réjouis que l’art oratoire soit à l’ordre du jour et j’ai la chance de vivre de mon métier d’auteur, en tant que linguiste et animateur d’atelier


Qu’est-ce que ce Festival vous apporte ?

La première fois, j’étais venu en reportage et j’avais entendu une conversation de Denis Lecat et Sonia Pataux. Ils souhaitaient organiser une animation autour de l’éloquence. Du coup, je leur ai proposé un projet. Ce n’est pas l’éloquence au sens traditionnel que je cherche à promouvoir, mais toutes les éloquences possibles, du rap au stand-up, en passant par les bateleurs, le slam, ou certaines conversations. Je considère donc toutes les formes de paroles, sans les hiérarchiser et sans en défendre une plus que l’autre. Au fond, c’est un point de vue de linguiste. Le moment était propice à ce type d’atelier de prise de parole et j’ai trouvé un écho chez eux. Ce qui différencie le public du festival et celui de la fac où j’anime aussi des ateliers pour Eloquentia, c’est d’abord l’âge des participants, qui est un peu plus élevé, même s’il y a souvent un ado dans le groupe. Chez ce public particulier, on a souvent des instits ou des profs retraités. J’avais eu un public similaire, intergénérationnel, à la médiathèque des Halles où j’animais récemment un atelier d’écriture avec un slameur. Mais ce qui est vraiment spécifique à cet atelier oratoire du festival Humour et eau salée, c’est la possibilité de convier des artistes programmés dans le festival à venir partager leur expérience avec les participants. Cette année, ce fut le cas de Kosh, un artiste de beat box qui est venu faire une démonstration pendant 30 minutes. Ce moment de partage est extraordinaire.

Quelle est votre approche de cette population hétérogène (classes sociales, âge, milieux différents…) ?

Il y a des trucs qui permettent d’installer une ambiance décontractée en début d’atelier, on appelle ça par un anglicisme, des « icebreakers ». Par exemple, la « météo des émotions » permet à chaque participant d’exprimer son humeur du moment par une métaphore climatique : temps couvert, plein soleil, etc. Ce type de jeu peut être décliné à l’infini. Cette année, vu que le thème du festival était « musique et bricolage », j’ai demandé aux participants d’exprimer leur état d’esprit en utilisant une métaphore musicale ou renvoyant au champ lexical du bricolage. Il y a aussi d’autres exercices comme, côté slam, L’usine à rimes qui consiste pour les participants réunis en cercle à enchaîner le plus de mots possibles en faisant des rimes, ou bien en produisant une association d’idées, un synonyme ou un antonyme. J’essaie de déceler la voix/voie propre à chaque participant pour permettre à chacun de dire le type de discours qui lui convient le mieux, de la façon la plus adaptée. On peut très bien imaginer une plaidoirie, un sketch, un slam, un poème classique… j’essaie de coller à ce que je perçois de leur manière d’appréhender la parole, pour faire en sorte que chacun y trouve son compte en s’exprimant avec son style et suivant sa propre cadence.

Il s’agit d’une psychologie de la parole ?

Oui, on pourrait tout à fait dire ça. Dans mon émission-podcast Flow sur l’application Majelan, je commence toujours par analyser la figure de style qui me semble récurrente, parfois inconsciemment, dans les prises de parole de  mes invités. Par exemple pour Alex Vizorek, il s’agit de l’analogie, pour Charles Berling j’ai pris l’équivoque (cf. le jeu de mots adressé au Roi dans le film Ridicule : « Sire, le Roi n’est pas un sujet »). Ce que j’aime repérer aussi, chez mes interlocuteurs, c’est un adverbe fréquemment utilisé qui sous-tend sa personnalité. Enfin, je cherche à trouver le rythme spontané du débit propre à chacun, c’est-à-dire, d’un point de vue métrique ou rythmique, le nombre de syllabes prononcées dans un même souffle.

Vous retrouvez des participants d’une année sur l’autre, gage d’un beau succès ?

C’est plutôt une réussite en effet, même s’il peut exister un effet pervers à cette relative identité du groupe d’une année sur l’autre. En effet, certains participants pourraient avoir tendance à vouloir continuer entre eux, avec une résistance potentielle à accueillir de nouveaux membres. Sans doute qu’il faut les bousculer un peu, sans trop les brusquer.

Quelles vos difficultés dans cet exercice de style ?

La difficulté principale, pour moi, c’est précisément celle-ci : arriver à instaurer un cadre sans être autoritaire. Je répugne à être trop directif, mais parfois il est nécessaire de maintenir un cap de façon assez catégorique, de sorte que l’idée maîtresse de l’atelier, qui consiste à produire des discours, ne soit pas parasitée par des demandes annexes, quant à des détails de mise en scène par exemple. Je dois sans doute m’améliorer un peu pour parvenir à recadrer tranquillement les choses.

Les sites où vous pouvez retrouver toute l’actu de Julien Barret :
www.criticomique.com
www.criticomique.com/flow-atelier-oratoire-podcast-parole
www.linkedin.com/in/julien-barret

 
 

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