« Ce que j’appelle oubli » de Laurent Mauvignier

par | 26 Juin 2025

En avant première du Festival d’Avignon, nous avons récemment découvert au Lavoir Moderne Parisien un spectacle percutant signé Laurent Mauvignier, Ce que j’appelle l’oubli. Ce spectacle s’inspire d’un fait divers qui s’est déroulé à Lyon en 2009. La lecture d’un fait divers génère traditionnellement une incompréhension et une indignation. Puis, il est placé sur la pile des faits divers voués à l’oubli. Laurent Mauvignier a exhumé cette histoire de la rubrique « faits divers » pour décrypter la gratuité et la violence d’un homicide et analyser le système qui prévaut à la mise à mort d’un homme dans notre société. 

Un homme entre dans un supermarché. Dans le rayon des boissons, il se sert une canette de bière et la boit. Quatre vigiles surgissent, l’encerclent et l’emmènent dans la réserve. Au milieu des conserves, il sera battu à mort et décèdera. 

Luc Schiltz, seul protagoniste, sur scène assure la narration de cette triste histoire. L’agression gratuite et l’ignominie de cet acte ont eu raison de ce qu’on nomme l’humanité. Contant par le menu les derniers instants de cet homme roué de coups, le narrateur imagine et suppute une autre voie qui aurait prévalu dans un autre contexte. La révolte de Laurent Mauvigier se paye de mots, le verbe rebondit sur le spectateur en cascades, enfonce les coins de son âme qui prend la mesure de l’ineffable.

L’immanence de cette action abominable à travers ce récit caractérise ce déchainement de violence sur cette malheureuse victime. La permanence du narratif dans sa durée traduit ce temps infini où les coups pleuvent. La tristesse nous assaille devant cette vie, enlevée, arrachée… pour rien. Tant d’aspirations d’amour, de joie et d’espoirs ne verront jamais le jour. Laurent Mauvignier nous rappelle que toute vie est sacrée. Dans un monde balayé par la mort, nous avons perdu notre âme. Il nous invite à reconsidérer cette problématique de l’accoutumance à la mort qui frappe quotidiennement. Qu’il est de notre devoir de prendre le temps de la réflexion sous peine de nous perdre dans l’habitude et l’égoïsme. Ne pas se détourner de l’autre devient alors un devoir moral qu’il convient d’entretenir comme un feu sacré. Le dérisoire et la violence gratuite plongent la société dans les limbes.

Saluons le talent de Luc Schiltz qui accomplit une véritable performance à décrire l’impensable. Laurent Mauvigier nous extrait de notre léthargie en nous permettant de réfléchir, de réaliser notre stupeur face à l’indicible. S’extirper de notre insensibilité et retrouver nos fondements humanistes devient un acte de résistance fort dans une société qui dévore ses propres enfants.

Laurent Schteiner

« Ce que j’appelle oubli » de Laurent Mauvignier

Mise en scène de Sophie Langevin

avec Luc Schiltz

  • Dramaturgie Youness Anzane
  • Composition musicale et jeu Jorge De Moura
  • Scénographie et costumes de Sophie Van Den Keybus
  • Lumières & régie plateau Jef Meten
  • Collaboration à la chorégraphie Emmanuela Lacopini
  • Assistant à la mise en scène Jonathan Christoph 
  • (c) Bohumil KOSTOHRYZ

Festival OFF Avignon 2025 du 5 au 24 juillet
Théâtre 11
à 11h45

 

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