Théâtre : « Une saison de machettes » d’après le livre de Jean Hatzfeld

par | 27 Avr 2024

Le Théâtre de l’Epée de Bois nous a récemment proposé Une saison de machettes, tiré de l’ouvrage de Jean Hatzfeld. Mise en scène par Dominique Lurcel, cette pièce nous plonge dans l’enfer de cette guerre du Rwanda, vu à travers le prisme des Hutus. Trente ans après cette guerre fratricide, ce spectacle déroule l’horreur de l’enchainement dévastateur qui en a résulté. Cette pièce s’attache davantage à essayer de comprendre les mécanismes qui ont présidés à ce génocide. Il n’est guère possible de répondre à cette problématique sans remonter aux sources historiques de ce conflit.

Présenté sous la forme chorale, ce spectacle donne la parole aux Hutus qui ont déclenché un génocide sur leurs frères Tutsis. Quatre comédiens sur scène, accompagnés d’un musicien contrebassiste, nous livrent des témoignages poignants de cet enchainement infernal ayant entrainé l’un des plus grands génocides de la fin du XXe siècle. La bascule dans l’épouvante s’exprime à travers la choralité  banale des faits qui ont présidé au massacre. Les propos recueillis par Jean Hatzfeld auprès de 8 cultivateurs Hutus jugés et emprisonnés sont sans appel. Ils manifestent tous une sorte d’inconscience et de profondeur mâtinée d’un formatage dès la naissance. Pire, la veille encore ces hommes entretenaient des rapports avec leurs « avoisinants », jouant au football, échangeaient et trinquaient au cabaret ou encore chantaient à l’église.

Cet apprentissage d’une haine rampante prend ses racines dans la colonisation belge qui avait positionné en 1959 la caste Tutsi à des postes clés. Il s’en était résulté une hostilité grandissante qui s’était transformée en haine aboutissant à un formatage d’idées mortifères qui se sont propagées aux générations suivantes. L’arrivée au pouvoir d’un président Hutu signera l’exil des Tutsi et des premiers massacres. L’assassinat des présidents rwandais et burundais en 1994 sera le catalyseur de l’appel au massacre des Tutsis.

La description des actes de ces cultivateurs glacent le sang. Le massacre des Tutsis dans les marais constitue une partie de leurs activités quotidiennes. Le témoignage d’une rescapée résume cette terrible et accablante réalité : « Autrefois, je savais qu’un homme pouvait en tuer un homme, puisqu’il en tuait tout le temps. Maintenant, je sais que même la personne avec qui tu as trempé les mains dans le plat à manger, ou avec qui tu as dormi, il peut te tuer sans gêne. Le plus proche « avoisinant » peut se montrer le plus terrible. Voilà ce que j’ai appris du génocide, et mes yeux ne se posent plus pareil sur la physionomie du monde. » Cette assertion douloureuse empreinte d’une philosophie réaliste sur l’être humain interroge l’universel. Mais quid de la rédemption Hutu ? Peut-on parler d’une timide prise de conscience ou bien d’un réel chemin vers une rédemption. Le « plus jamais cela » a malheureusement montré ses limites et l’histoire se répète inlassablement. Conclure que l’homme signe  l’arrêt de mort de la civilisation est réducteur. Il convient d’oeuvrer et remettre cent fois sur le métier afin de déjouer cet engrenage mortifère.

Les comédiens interprètent avec soin et sobriété ce déroulé tragique. L’accompagnement musical apporte quelques respirations qui casse cette narration chorale permettant au public de vivre ces événements avec force. La portée de ce spectacle élargit la problématique de ce génocide et touche à l’universel où la notion d’Humanité est mise à mal. Un spectacle brillant par sa conception et la multitude des problématiques qu’il soulève.

Laurent Schteiner

 

« Une saison de machettes » d’après l’ouvrage de Jean Hatzfeld

Version scénique et mise en scène de Dominique  Lurcel

Jeu : Céline Bothorel, Maïa Laitier, Omar Mounir Alaoui et Tadié Tuéné

  • Musique su scène : Yves Rousseau à la contrebasse
  • Lumières : Philippe Lacombe
  • Décor : Gérald Ascargorta
  • Construction décor : Jérôme Cochet et Caroline Frachet
  • Régie Générale : Frédéric Lurcel
  • Crédit Photos :  © Passeurs de mémoire

Théâtre de L’Epée de bois – Cartoucherie

Loc : 01 46 06 49 24
www.epeedebois.com

Jusqu’au 12 mai 2024 Les jeudis, vendredis 21H,  les samedis 16H30 et  21H,  les dimanches 16H30

Tournées :

  • Nanterre le 14 mai, Maison de l’Etudiant
  • En novembre 2024 à Paris, Théâtre de la Concorde (anciennement Espace Cardin), semaine du 4 novembre, 4 représentations
  • Lyon à partir du 13 novembre, 6 représentations au théâtre Paul Garcin, 69001
 
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