Le Phénix Festival nous a récemment fait découvrir une pépite, Cendres sur les mains de Laurent Gaudé dans une remarquable mise en scène d’Alexandre Tchobanoff. Cette pièce aux accents « beckettiens » témoigne de l’absurdité de la guerre en l’opposant à une vision humaniste empreinte de poésie. Quelles meilleures armes que la beauté, la douceur et la grâce pour lutter contre la barbarie.

Dans un pays ravagé par la guerre, deux fossoyeurs s’emploient à déblayer des cadavres. Obéissant à une autorité mystérieuse hostile, ils déplacent et brûlent des corps tout au long de la journée. Vivant dans le plus grand dénuement et baignant dans un environnement toxique, ils sont profondément marqués par ce sale boulot. Un labeur qu’ils prennent à coeur mais qui laisse des stigmates sur leur peau. Des démangeaisons ne cessent de les tourmenter. Et là, au milieu des corps entassés pêle-mêle une rescapée se lève, titube et se dirige vers eux. Son passé est derrière elle. Les horreurs qu’elle a vues et subies l’ont brisées. Sa mémoire s’est effacée pour ne pas entrer en conflit avec une réalité épouvantable. Enrôlée dans le labeur morbide et funèbre des deux hommes, elle représente le sursaut d’humanité luttant contre cette barbarie établie. Avec douceur et humanité, elle va tenter de mémoriser tactilement tous ces corps amenés à disparaitre. Cette mémoire nouvelle devient le réceptacle de la civilisation.

L’absurdité des revendications syndicales des fossoyeurs, sous les coups de de boutoirs de la tyrannie, atteste de l’inanité de la guerre. Le caractère « beckettien » des relations entre ces deux fossoyeurs rappelle les dialogues de Vladimir et d’Estragon (En attendant Godot). Incarnation de la mémoire des disparus, la jeune femme devient alors le seul espoir de l’humanité à se rappeler des horreurs de la guerre.

Arnaud Carbonnier et Olivier Hamel, qui incarnent ces fossoyeurs, sont époustouflants. Ils sont très justes et sincères dans ce jeu absurde et cruel, simples maillons dans l’engrenage d’une guerre sans fin. Prisca Lona, à la fois narratrice et interprète, a un rôle complexe car la densité et la profondeur de la narration appelle un certain recul. Cette réserve factuelle assène le rendu d’une barbarie en marche. Par ailleurs, elle fait montre d’une douceur et d’une grâce qui témoignent de la survie de l’humanité. Saluons la performance de ces trois comédiens ! La mise en scène d’Alexandre Tchobanoff, intelligente et aboutie, permet la coexistence de ces deux univers marqués par la bestialité et la survie. Enfin, le recours à la vidéo et à la musique soulignent et véhiculent une atmosphère particulière à la pièce. Certaines pièces ont cette faculté de marquer les esprits, Cendres sur les mains, par ses ressorts d’humanité et d’amour en fait partie.

Laurent Schteiner

Cendres sur les mains de Laurent Gaudé
Mise en scène d’Alexandre Tchobanoff

avec Prisca Lona, Arnaud Carbonnier et Olivier Hamel

  • assistance à la mise en scène : Prisca Lona
  • Copyright  Jon.D Photographie

Dès le 5 septembre au Studio Hébertot
78 bis boulevard des Batignolles 75017 Paris.

 

 

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