En aparté : Charlotte Monnier
La Manufacture des Abbesses met actuellement à l’affiche, un spectacle de toute beauté de Catherine Chabot, Table rase. Ce spectacle québécois, adapté par Charlotte Monnier et programmé jusqu’au 4 janvier 2023, rencontre un très beau succès. A cet effet, Charlotte Monnier, adaptatrice et interprète, nous a gratifié d’un magnifique entretien.Â
Quelle est la genèse du projet ?
Charlotte Monnier _ En 2017, J’ai rendu visite à des amies (rencontrées à la Cité universitaire de Paris) à Montréal. Elles ne parlaient que de cette pièce Table rase créée en 2015 qui avait remporté un beau succès et qui bouleversait tout le monde. J’ai décidé de la lire puisqu’elle n’était plus jouée. Cela a été un coup de foudre immédiat et je me suis fait la promesse de la monter en France. La lecture à la bougie dans le cadre du Phénix Festival nous a permis de perfectionner l’exercice. Plus tard, nous avons fait une autre lecture avec une captation cette fois et qui nous permet de jouer actuellement à la Manufacture des Abbesses.
Avez-vous vu le spectacle original ?
C.M._ Non. Mais maintenant que le nôtre est bien rodé et identifié, je pourrais être intéressée à le voir.
Y-a-t-il des différences avec l’original ?
C.M._ Oui principalement avec la langue. Je me suis toujours refusée de dire que j’avais réalisé un travail de traduction. C’était une adaptation. Mais écrit en québécois, si je l’avais vu, je ne pense pas que j’aurais tout compris. Mes amies québécoises m’ont grandement aidé dans l’adaptation. Les québécois ont énormément d’anglicismes qui viennent souvent préciser un terme français qui est rarement aussi précis dans d’autres langues. Cette adaptation m’a permis de réaliser à quel point la langue française est assez pauvre. Pour un mot français, il y en a parfois 3 ou 4 mots dans d’autres langues. J’ai dû adapter plusieurs fois le texte entre 2020 et aujourd’hui. En 7 ans, les problématiques abordées depuis 2015 ont bien évolué : l’émancipation, la liberté d’expression féminine… Il y a surement en 2015 une parole qui choquait le bourgeois mais aujourd’hui, il faut reconnaitre que ce n’est plus le cas. Dire par exemple « putain » sur un plateau, cela ne choque plus personne. De même les jurons québécois « les sacres » sont inspirés des textes bibliques comme « Tabernacle », « Calice » ou « Chris ». Cette écriture extrêmement orale, vulgaire est exprimée dans un sens positif qui exprime une rage, une colère. Cela faisait sens dans la version québécoise mais en français, j’ai fait le choix de les supprimer tous. Je suis heureuse d’avoir relevé le défi, mais ce n’est pas pour autant qu’on perd le côté très trash et très cru du propos. Quoiqu’il en soit, l’on m’a bien confirmé que l’esprit de la pièce était bien intact et c’est tout ce qui compte pour moi.
Pourquoi avoir choisi ce rôle ?
C.M._ Je l’ai choisi car c’est un rôle très silencieux. Il me fait travailler le corps. Je voulais davantage incarner que travailler sur un texte uniquement. Sur le casting, on s’est basé sur quelques critères physiques en rapport avec les personnages. Sylvy est arrivée, une fois le casting réalisé. Pour information, nous avons changé à trois reprise de metteur en scène, et à chaque fois, pour des raisons nobles. La première qui m’a fait confiance, dans ce projet, a été Isis Montanier. Elle m’a proposé rapidement 2 ou 3 autres personnes. Ensuite, il y a eu Chloé. Elles se sont toutes jetées sur leur rôle comme une évidence. La distribution s’est opérée naturellement. Chacune a choisi son rôle par affinité et où ça allait les challenger.
Comment avez-vous travaillé vos personnages ?
C.M._ En 3 ans, on a utilisé toutes les techniques. On a fait une première résidence d’une semaine. On a fait énormément de lectures dans l’attente d’une résidence qui a été annulée 2 fois de suite à cause de la COVID. S’il y a quelque chose qui nous caractérise toutes, ces 3 dernières années, c’est la persévérance. Puis on a décidé de se préparer pour une captation dans l’espoir d’approcher des directeurs de théâtre. Deux COVID positifs ont empêché cette captation. Grâce à Sylvy, nous sommes allées à la rencontre de nos personnages. C’est ainsi qu’on leur a écrit une lettre. Puis, nous avons fait des improvisations. Le plus gros travail a été de créer un groupe de 6 copines, 6 amies d’enfance. Je pense que la COVID nous a rendu un fier service car elle nous a permis de faire ce travail nécessaire de solidarité et de fédération.
Et en Quelques mots, comment définiriez-vous ce spectacle ?Â
C.M._ Un huis clos voyeur, festif et décomplexé.
Avez-vous une anecdote marquante par rapport à cette pièce ?
C.M._ Oui il y a un moment qui m’a traumatisé et j’y pense chaque soir : à la toute fin, le personnage-médecin me pose la question à laquelle je dois répondre absolument « oui » et je me suis trompé. J’ai dit « non ». Cela nous a glacé pour des décennies ! Je me suis repris en changeant d’avis. Enfin, je dirais que mettre 6 personnes sur une même affiche est compliqué. Désormais, nous disposons de 6 projets d’affiche à disposition. Mais l’affiche retenue, a été faite en 2020, et j’en suis dingue. Elle raconte tout. Elle claque !
Il y a un rapport percutant à l’amitié qui est offert dans ce spectacle. Qu’en pensez-vous ?
C.M._ Oui car il est caractérisé par sa sincérité, son authenticité et sa fidélité. C’est un message extrêmement précieux émanant du Québec. Mes séjours au Québec m’ont peut-être donné à observer un autre type de rapport entre les femmes et ce dernier m’inspire énormément.
Si ce spectacle était une oeuvre d’art, quelle serait-elle ?Â
C.M._ Clairement la Cène de Léonard de Vinci car il y a des similitudes sur le plan de la mise en scène, de la disposition des personnages. A l’instar de La Cène où les apôtres sont autour de la table de face. Ce qui est aussi la règle sur scène. Et c’est un instant crucial que l’on vit, moment ultime et témoin d’une fidélité sans faille entre elles malgré leurs entourloupes. Même si le projet politique de Table rase n’est pas à proprement parlé militant, il apparait de facto comme féministe. Je dirai malheureusement car l’affiche met en valeur 6 femmes suggérant un projet féministe alors ce n’est pas du tout le sujet. Tout cela est un peu réducteur. Il y a surtout cette bienveillance à toute épreuve, cet amour inconditionnel et cette fidélité entre elles qui les définissent. Pour moi, clairement, je pense que Table rase fait appel à des valeurs chrétiennes où la jalousie, la concurrence et le jugement en sont exclus.
Propos recueillis par Laurent Schteiner
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