Ariane Louis, autrice de la pièce « Petite » (voir notre article) et Thibault Besnard, qui en a assuré la mise en scène au Théâtre des Déchargeurs, nous ont accordé un entretien passionnant sur cette pièce originale et troublante.

Comment vous est venue l’idée d’écrire ce texte ?
Ariane Louis_ Ce n’était pas une idée.  J’ai voulu retranscrire un ressenti et des émotions que j’avais vécus dans une fratrie issue d’une famille recomposée. J’ai voulu retranscrire cette expérience. Il y a ce côté charnel dans mon écriture de ce récit. Il s’agit de l’une de mes pièces les plus personnelles. Etant dans une famille ou une autre, je n’occupais jamais la même place. Il y avait là beaucoup de questionnements autour de la place qu’on occupait. Cela a été compliqué pour ma construction personnelle. Ça m’a habité très longtemps.

Est-ce une pièce à tiroirs, à traitement philosophique et psychanalytique ?
Thibault Besnard_ Pour le coup oui, on a travaillé énormément de couches. Au début on a pris le texte comme il était on a essayé de l’étirer dans tous les sens. Et c’est une force des textes d’Ariane, il y a un milliard de petits chemins complètement diffèrent et qui peuvent amener un axe de lecture de mise en scène extrêmement éloigné. On a pris le parti d’en traiter plein en même temps. Des stigmates de la psychiatrie à la psychopathie de l’enfermement ou encore le travail d’un corps extrêmement stylisé car non cadré par nos normes sociales.

Est une pièce chorale ou n’y a-t-il qu’un personnage ? 
T.B._ En fait on n’y pas répondu nous-mêmes. (rires.) Avec Ariane on s’est laissé cette porte ouverte. On joue sur des codes de costumes vis-à-vis de ça : tout le monde est dans une couleur chair qui rappelle la couleur des boites un peu usé y compris le personnage de Thomas qui a les fameuses cordes, et les bretelles un peu de la même couleur.

On s’aperçoit que la voix de la raison est la petite et c’est étonnant. C’est la voix du contrôle pour moi. Le Surmoi (sens moral de la personnalité) par rapport a la grande qui est dans ses désirs dans ses envies. J’y vois un trait nourri par la psychanalyse.
T.B._
Le fait de réussir à se raisonner, à se contrôler dans son environnement est ce que fait la petite. C’est une manière de tenir alors que la grande cherche à s’échapper. A y regarder de plus près, ce n’est même pas une manière de tenir pour la petite puisqu’elle ne tient pas en place.

A.L._Je ne suis pas forcément d’accord. Pour moi, c’est une possibilité que la petite représente le surmoi. Mais il y a une possibilité que ça soit la sœur, celle qui n’est pas présente, qui n’est pas là car elle a réussi à partir. La petite sœur refuse de prendre des risques. Elle refuse de s’exposer à l’extérieur qui pourrait lui permettre de grandir. Il pourrait y avoir une autre lecture dans le sens où la petite sœur serait le Ca (le centre des désirs inconscients) représentant le confort familial et la maitrise, la grande sœur du milieu pourrait être le moi (qui suis-je et comment je fais pour m’épanouir et grandir ?), la grande sœur, qui est partie, pourrait être ce Surmoi qui leur est inaccessible pour l’instant.

A un certain moment j’ai basculé sur autre chose : J’ai imaginé le ventre de la mère. Un espace clos. A un moment T, l’une était née, les 2 autres dans l’attente…
T.B._ Ce qui amusant c’est la base de la première chorégraphie que l’on voit en en rentrant dans le théâtre. C’est la toute première chose qu’on a travaillé quand elles sont mélangées. Ce qui fait un peu danse-théâtre. Le déplacement des fœtus dans le ventre.

Vous avez voulu figer l’instant. Pourquoi suspendre le temps ?
T.B._ On a travaillé le parcours du temps. On ne sait jamais si elles s’imposent ces règles ou ce sont les règles qui les définissent. Mais dans cet instant figé elles sont dans une boucle temporelle. C’est pourquoi on a choisi le matériau carton qui permettait de s’user, idem pour les costumes. Le temps continue mais dans une boucle temporelle. L’idée n’était pas de figer l’instant mais on voulait apprécier si, à un moment, des petits dérèglements changeraient quelque chose ou pas ? Au début du spectacle, la petite sœur a un rapport avec les cartons qu’elle a ensuite avec le personnage de Thomas. Une fois repartie dans la boucle, elle le considère comme une boite. Chaque personnage ne démarre pas la pièce au même moment. Ils ne sont pas dans la même boucle mais il y a des moments où ils se rejoignent, ça vrille un peu. On le sent tous. On a ainsi travaillé sur le côté ésotérique, spatial, expositionnel. Ça bloquait et pour que ça marche elles prennent une décision qui les ramène à la boucle de façon perpétuelle.

Comment vous est venu cette idée de boites ?
T.B._ Après quelques tâtonnements, j’ai rencontré Chloé Bellemère, la scénographe. Et nous nous sommes fixés sur des boites de même taille afin que l’on puisse se perdre (spectateurs et comédiens). Elles deviennent un château, symbole de l’imaginaire de l’enfance. Les deux sœurs sont des enfants dans des corps d’adultes avec des pensées et des moralités d’adultes. Un rapport très innocent.  Et les essais lumière avec notre créateur lumière, Gilles Robert, ont été probants. La lumière réfléchissant sur le carton changeait de couleur et par conséquent sur tout l’environnement.

Pourquoi les boites sont sans étiquettes et les personnages sans nom ?
A.L._
C’est tout le travail de Thibault qui a fourni avec Edouard : comment notre identité est aspirée par l’autre. C’est tout le questionnement de cette pièce car notre identité est construite en fonction de l’autre.

Est-ce toujours vrai ?
T.B._ Non ce n’est pas toujours vrai mais cela a une importance entre les frères et sÅ“urs. C’est aussi la place qu’on doit trouver quand il y un trou. C’est comme ça qu’on a bossé la scénographie. Là ou il y a de la place, il faudra disposer la boite de telle façon qu’on s’adapte à l’espace restant. Je pense que ce sont là les rapports que ces personnages entretiennent dans cette pièce. Ils essayent tous d’exister en rapport à l’autre.

Vous avez posé un canevas et vous avez ouvert le champ des possibles
T.B._
Merci ! Ca me touche car c’est là ma motivation première ; J’aime ce côté clivant. J’aime ce théâtre où l’on repart chargé.

Est-ce que ce n’est pas complique d’écrire sur un canevas imparfait. Posé quelque chose qui n’est pas fini et laisser après évoluer les choses ? La tentation n’est elle pas dans la précision ? Il y a là une forme de laisser vivre le récit, les personnages…
T.B._ Entièrement d’accord.

A.L._ La précision, je l’ai cherché dans les mots que j’employais, la justesse rythmique et la justesse sonore. Pour le reste je suis d’accord avec vous. Il y a énormément d’ouvertures qui peuvent paraitre non résolues et c est aussi un saut dans le vide. Mais je connais Thibault et j’ai pleinement confiance en lui. Car il y a ce truc-là très vertigineux de se lancer en s disant « advienne que pourra ».

T.B._ Ariane laisse la place a quelqu’un d’autre, c’est une invitation à l’association de me faire écrire quelque chose sur scène. Je suis pleinement d’accord.  Il y a une imperfection qui est très surprenante et je suis très admiratif du travail d’écriture d’Ariane. Il y a une page blanche à remplir. Elle laisse faire sans avoir le contrôle sur son œuvre.

C’est une invitation au voyage !
A.L._
C est le premier truc que j’ai dit à Thibault : c’est de la cocréation.

J’ai trouvé qu’il y avait un côté SF (Walking Dead)
T.B._
(Rires) Très présent dans ces œuvres ! Il y a chez elle de grandes influences fictionnelles. Je pense que ce sont là des contes pour adultes.

Propos recueillis par Laurent Schteiner

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