En aparté : Anne Bouvier

par | 19 Juil 2022

Anne Bouvier, toute récente présidente de l’ADAMI, nous offert un entretien passionnant en balayant ces 25 années de carrière jusqu’à sa consécration aux Molières en 2016 et 2019. Elle a accepté de nous livrer les axes de développement de sa future politique au sein de l’ADAMI.

Après avoir parcouru votre parcours artistique après 25 ans de carrière, où allait votre préférence : comédienne ou metteuse en scène ?
C’est une question que je me pose tous les jours ! (Rires). Je ne pourrais pas me satisfaire de l’un ou de l’autre. Mais c’est un peu comme on me dira de faire aussi ! (Rires). L’un nourrit l’autre. J’ai besoin d’une vision un peu globale des choses en mettant en scène et j’aime bien le recul que ça apporte et la transmission avec les acteurs me plait et me réjouit beaucoup. Il y a un moment où je prenais moins de plaisir à jouer… C’est pour ça que j’ai développé la mise en scène. Ainsi en développant la mise en scène, j’ai retrouvé du plaisir de jouer. Ce sont des questions de perspective, de point de vue, de prendre un peu d’air par rapport à ce qu’on fait. Cette mise en perspective enrichit les 2.

En parlant de mise en scène, comment avez-vous franchi le pas de comédienne à metteuse en scène ?
Je donnais des cours à l’un de mes élèves chez Florent. Il y avait un jeune artiste Hadrien Raccah qui à l’époque hésitait entre s’enrôler dans l’armée israélienne ou bien être acteur. Le cours de théâtre était pour lui vital. J’ai senti chez lui une plume. Il a donc écrit une petite pièce et il m’a demandé de la mettre en scène. Et nous avons monté avec rien du tout cette pièce à l’espace Rachi avec deux autres élèves de chez Florent que je trouvais super. Ca a commencé comme ça avec peu de moyens et ça m’a plu.

Qu’a représenté pour vous ce premier Molière du second rôle en 2016 pour le Roi Lear et en 2019 meilleure comédienne dans Mademoiselle Molière ? Une surprise ? Une consécration ?
Le premier a été une surprise. J’étais contente de ce que je faisais dans ce spectacle. Mais je ne pensais pas être suffisamment reconnu par mes pairs pour être nommée. Etant en tournée, j’ai appris ça par Pascal Zelcer. J’ai fondu en larmes et c’est devenu une consécration, une reconnaissance étant fille d’acteur j’ai toujours besoin de me sentir légitime. Mes autres pairs m’adoubaient en me disant « tu as une place dans ce métier ! » C’était déjà très important pour moi. Pour le 2e je me suis dit « cela veut peut-être dire que je suis une véritable actrice. » (Rires). « On considére cette année-là que je figure parmi les 5 meilleurs. L’année prochaine, ça ne sera peut-être pas le cas ». Là, j’avais plus la pression, je pensais que c’était possible mais en même temps j’en avais déjà reçu un.

Comment avez-vous vécu fille de … ?
Mon père m’a dit « je te préviens si tu veux faire ce métier c’est très difficile surtout pour une fille et je ne t’aiderais pas !  On ne m’a pas aidé et tu dois faire ton trou toute seule ». Il m’a quand fait jouer la première fois dans un spectacle dans un festival à Sète. Il m’a préparé pour entrer au cours de Niels Arestrup. Il m’a aidé à préparer ma scène. Il m’a quand même aidé. Il ne voulait pas « réseauter ». Ensuite je suis entré à la Rue Blanche où il était professeur. Il était très dur avec moi parce qu’il voulait que je sois meilleure que les autres, qu’il ne voulait pas qu’on pense que j’étais là parce qu’il était là. J’ai dû travailler plus que les autres. Même mes potes le remarquaient et me disaient qu’il était dur avec moi. Je l’en remercie aujourd’hui car j’ai fait ma route. C’était la bonne méthode.

Quelle est la pièce dont vous êtes la plus fière en tant que comédienne et metteuse en scène ?
J’avoue que Mademoiselle Molière fut une aventure incroyable et une histoire d’amitié avec Christophe de Mareuil qui m’a proposé de jouer avec lui dans cette pièce. C’est grâce à lui que j’ai eu accès à ce texte-là. J’aime quand il y a une histoire humaine car ça me touche toujours beaucoup. Il y a eu aussi Hamlet qui a été un spectacle incroyable avec P. Torreton dans une mise en scène de Jean-Luc Revol. Également avec Philippe Calvario le Roberto Zucco de Koltès aux Bouffes du Nord avec Xavier Gallais. C’était aussi magique ! Sinon, en matière de mise en scène, ce n’est pas le spectacle qui a le mieux marché (rires), Kamikaze que j’avais mis en scène avec Stéphane Guérin à Avignon, il n’y a pas longtemps. Et je me suis littéralement « éclatée » artistiquement parlant sur ce spectacle.  Je me suis « challengée ». C’était la première fois que je montais une pièce avec autant d’acteurs. J’avais la pression. J’ai été très fière du résultat. J’ajouterais la liste de mes envies avec Michel Chérignon, qui a été un succès.

Vous venez d’être nommée à la présidence de l’ADAMI, quelles vont être vos pistes d’amélioration et de développement ?
On a pas mal de travail en perspective. On a mis en place une reforme de l’action artistique. Ce qui fait qu’on aide beaucoup plus directement les artistes interprètes avec l’ADAMI déclencheur. C’est vraiment un programme qui cartonne et qui répond vraiment à une nécessité d’aujourd’hui pour les artistes de se prendre en main de se dire « j’ai envie de monter ça… », ils sont coproducteurs et gardent la main sur leur projet. Nous allons continuer à développer cela. La musique, c’est pareil. On a aussi des sujets politiques car on a beaucoup moins d’argent depuis 3 ans suite à une décision de la Cour de Justice européenne qui fait que nous devons répartir aux artistes notamment américains leurs droits. Par exemple, si une chanson de Madonna est diffusée en France, elle ne touche pas ses droits. Il n’y a pas de réciprocité entre les États-Unis et la France. Les États-Unis n’étant pas signataires de la Convention de Rome. Ce qui est injuste pour les artistes américains. C’est qu’on appelle des sommes juridiquement « irrepartissables » encadrées par l’Etat Français qui repartaient à l’action artistique qui étaient encadrées par la loi Lang de 1985. Ce qui correspond à 6 millions d’euros par an. Actuellement, nous sommes dans une grosse bagarre juridique pour bénéficier d’une autre loi.  Cela touche également la SPEDIDAM, enfin tous les organismes de gestion collective qui ont perdu cette manne importante dans la création. Il y a également le souhait d’autres alliances pour mieux travailler avec les autre O.G.C (Organismes de Gestion Collective) qui sont trop isolés. IL faut mutualiser.

 

Cela permettrait de lutter contre les plateformes qui fragilisent le système ? 
Entre autres. C’est notre gros combat, que ces plateformes soient audiovisuelles ou musicales. On a signé un accord pour qu’il y ait une rémunération un peu plus juste basée sur la valeur du travail et la valeur du succès. En musique, on a réussi à signer quelque chose. Cela plus vite en musique que dans l’audiovisuel, je ne sais pas pourquoi. Sur les plateformes audiovisuelles tout reste à faire; Elles ne reversent aucun droit, les tarifs de base sont très bas. De plus, elles ne viennent pas à la table des négociations. Il ne faudrait pas que nos artistes soient des produits « low cost ». « L’ubérisation » du monde est également vécue chez les artistes. Personnellement, je ne mesurais pas la dimension politique des O.G.C.. Nous restons toujours en lien avec le ministère de la Culture, même s’il s’agit de sociétés privées et civiles qui sont sous tutelle du Ministère. Et c’est très bien car nous sommes encadrés par des commissaires aux comptes et des commissions de contrôle car il y a eu des années où des choses étranges se sont déroulées. Il y a davantage de transparence maintenant. On continue à militer pour ça et avoir des valeurs de parité, de diversité. On se rend compte dans le domaine de la musique que les femmes sont vraiment sous-représentées surtout dans les musiques actuelles, les musiques urbaines où nous connaissons un réel déficit. Au théâtre, c’est moins le cas. Et comme dit aux Molières, les gros budgets ne sont pas encore aux mains des femmes. Ca va mieux maintenant aux théâtres des CDN il y a plus de femmes mais le compte n’y est toujours pas. Parmi les chefs d’orchestre dans le monde, on en dénombre que 12%.

Quelle est cette appétence pour cette dimension politique dans votre métier ?
C’est vrai. Je ne pensais pas. C’est un peu comme la mise enscène, ça m’est tombé dessus. Il y a quelques années, j’avais des amis qui étaient à l’ADAMI comme Jean Barney, Michel Simonet, Jean-Paul Tribout, qui m’avaient incité à me présenter à la Commission dramatique qui étudie les projets des compagnies. je me suis présentée et j’ai été élue. Ca m’a plu et j’y suis restée 4 ans. De là, je me suis présentée au Conseil d’Administration de L’ADAMI. J’ai été élue la première fois. Je dois avouer que je m’intéresse à l’intérêt général. Je ne pensais pas être engagée mais je le suis !

Concernant la défense de l’environnement, qu’avez-vous préconisé ?
On réfléchit à des bonus. On a rencontré Agnès Saal qui s’occupe de la parité et de la diversité. Et on voit tout ce qui a été mis en place au CNCI. Ils ont beaucoup avancé sur l’écologie en obligeant les tournages à mutualiser les transports, à faire attention aux « catering », ils ont également des référents sur les tournages… Ils bénéficient de bonus quand ils mettent en place ce type de mutualisation. Dans le spectacle vivant, on est très en retard là-dessus. On va essayer d’avance car avec nos vieux projos qu’on ne mutualise pas du tout. il faudrait se responsabiliser plus. Quand je vois à Avignon l’hérésie écologique que c’est… Les 800 climatisations qui fonctionnent toutes les heures.. C’est obligé car à 50°, on ne tiendrait pas. je mesure l’urgence. Au niveau de la société, il y a un programme qui s’appelle la RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises). Il s’agit d’un label que l’on peut obtenir en suivant certaines contraintes.

Pensez-vous qu’une mandature de 3 ans sera suffisante pour mener à bien vos projets ?
Il est vrai que le temps passe vite. C’est comme le temps judiciaire ou le temps politique où il y a plein de remaniements. On change d’interlocuteurs très souvent, il faut que des lois soient créées, qu’elles passent au parlement… Tout cela prend des mois. J’espère mettre en place des choses et on verra s’il faut un autre mandat. C’est très long.

Quels sont vos projets actuels et futurs ?
Je vais lettre en scène une comédie de Nicolas Poiret et Sébastien Blanc Un monde idéal que je vais monter à La Tête d’Or à Lyon et avec Marie-Thérèse Porchet et des jeunes acteurs lyonnais. Ensuite je mettrai en scène Sylvie Testud dans un seule en scène adapté du livre de Valérie Bacot Tout le monde savait qui sera au théâtre de l’Oeuvre, début octobre. Il s’agit de cette femme qui a tué son mari qui la battait et la violait depuis toujours. Elle a été jugée et graciée. Elle a écrit ce livre qu’on a adapté.

Propos recueillis par Laurent Schteiner

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