Célèbre roman de science-fiction de Ray Bradbury publié en 1953 aux Etats-Unis, Fahrenheit 451 a été une source fertile d’inspiration pour le cinéma (François Truffaut), le documentaire (Michael Moore), la bande-dessinée ou encore le dessin animé. Après Bartleby de Melville qu’il avait adapté en 2004, David Géry s’empare à son tour de cette fable futuriste et la porte à la scène.

 

Au bord d’une guerre civile permanente, le monde qui est inventé par le roman est gouverné par l’hyperconsommation, l’individualisme, le conformisme et l’ignorance. Contrairement à d’autres romans d’anticipation tels 1984 d’Orwell, la population est ici globalement heureuse de son sort : déshabituée de toute réflexion, la conscience des habitants de cette société sans âme a été endormie par le divertissement à outrance – les différents panneaux qui constituent le décor sont ainsi fréquemment saturés d’images, comme autant d’écrans plats géants diffusant des programmes débilitants de télé-réalité ou de publicité.

 

C’est dans ce monde déshumanisé que naît la haine des livres, comme une chasse ouverte à tout questionnement, à toute analyse, et in fine à tout esprit de résistance ou de révolte. Brûler tous les livres apparaît comme la solution radicale pour régler l’épineux problème de la liberté de penser (« Le feu est antiseptique, esthétique et pratique ») ! C’est cette thématique politique qui a frappé David Géry et qu’il a voulu interroger avec les moyens du théâtre : « Comment résister à cette société qui serait une dictature du divertissement – la plus sournoise des propagandes – favorisant la paresse mentale et la perte de la mémoire, méprisant la réflexion et gardant les êtres à distance afin de mieux les contrôler ? », nous demande le metteur en scène dans sa note d’intention.

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Dans ce monde où chacun se complaît dans l’ignorance crasse et dans un narcissisme forcené, la fonction des « pompiers » n’est plus d’éteindre les incendies mais de brûler les livres (le titre fait référence au point d’auto-inflammation, en degrés Fahrenheit, du papier… un peu moins de 233 °C). Le héros, Guy Montag est lui-même pompier. Personnage positif incarné avec bonheur par Quentin Baillot, il forme avec sa jeune voisine, Clarisse McClellan (Lucrère Carmignac), un couple atypique qui symbolise à sa façon la résistance face à cette société uniformisée : sensible et curieux, prêt à s’interroger, Montag se lie vite d’amitié avec cette étrange Clarisse, « asociable » éprise de liberté, qui aime réfléchir aux petits mystères de la vie et qui l’éveillera à une renaissance des sens et de l’esprit, remplissant sa fonction de personnage féminin galvanisant (à l’exact opposé de l’épouse égoïste et froide du héros).

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Entrecoupés des scènes qui opposent Guy aux dirigeants ou aux exécutants du régime, les dialogues entre Montag et Clarisse offrent certains des plus beaux moments de la pièce, distillant beaucoup de poésie dans ce monde aseptisé où toute sensibilité semble avoir été éradiquée.

A la faveur d’une série d’événements qui lui révèleront la cruauté du système implacable dont il est l’agent, notre héros va vivre sous nos yeux une métamorphose : auparavant satisfait de son métier, Montag commence à s’interroger et à éprouver de la culpabilité. Malgré les tentatives de son supérieur hiérarchique (le capitaine Beatty) pour le remettre dans le droit chemin, le jeune homme subtilise un livre qu’il décide de lire… C’est alors pour lui le début de l’engrenage et une entrée en résistance qui le conduira à s’éloigner de certaines personnes et à renouer avec d’autres – et peut-être avant tout à renouer avec une partie de lui-même, jusque-là oubliée.

Saluons, outre le jeu des comédiens, les effets spectaculaires d’artifice, de fumée et de feu auxquels David Géry a accordé une grande place (chose rare au théâtre) et qui soutiennent harmonieusement l’action dramatique (David Géry a fait appel à une star mondiale de la pyrotechnie, Jeff Yelnik).

Enfin, sans dévoiler complètement la surprise finale (chaque soir différente), on peut dire que la dernière partie de la pièce met à l’honneur les spectateurs et les métiers du livre…

On ne saurait que recommander aux lyonnais d’aller découvrir aux Célestins cette pièce étonnante, contre-utopie qui dresse le tableau certes pessimiste mais saisissant d’une société totalitaire en perte d’identité, et qui nous invite à une saine inquiétude. En effet, superposée à l’image peu réjouissante de notre époque, la peinture visionnaire de Bradbury ne semble pas si « futuriste » – c’est déjà ce qu’affirmait l’auteur dans les années 50 : « La science-fiction est une description de la réalité. » David Géry reste fidèle à cette idée dans son adaptation pour le théâtre : la fiction semble rejoindre la réalité, comme pour nous dire de rester vigilant afin de garder vivant ce qui nous fait hommes : la différence, la culture, la curiosité, la liberté.

 

Marie-Cécile Ouakil

 

 FAHRENHEIT 451 de Ray Bradbury

Adaptation et mise en scène David Géry

Avec Quentin Baillot, Lucrèce Carmignac, Simon Eine sociétaire honoraire de la Comédie-Française, Gilles Kneusé, Alain Libolt, Clara Ponsot et Pierre Yvon.

Assistante à la mise en scène : Florence Lhermitte 
Conseillère artistique et enregistrement des voix off : Laura Koffler-Géry 

Scénographie : Jean Haas 
Effets spéciaux, pyrotechnie : Jeff Yelnik
Lumières : Dominique Fortin 
Musique : Jean-Paul Dessy
Vidéo : David Coignard 
Costumes : Cidalia Da Costa assistée d’Anne Yarmola
Maquillages : Sophie Niesseron
Crédit Photo : Philippe de la Croix

 

Du 19 au 23 mars 2013 aux C̩lestins РTh̢̩tre de Lyon

Les 28 et 29 mars 2013 au Phénix – Scène nationale de Valenciennes

Du 2 au 4 avril 2013 à l’Espace Malraux – Scène nationale de Chambéry et de la Savoie

 

Durée : 2h

Jusqu’au 23 mars 2013, à 20h
Les Célestins, Théâtre de Lyon
04 72 77 40 00

www.celestins-lyon.org

SAMEDI 23 MARS A 14h30
Culture et régimes totalitaires :  Le conditionnement des sociétés n’est-il plus que de la science fiction ?
Conf̩rence Рrencontre organis̩e par le CHRD

En résonance avec le spectacle Fahrenheit 451, le Théâtre des Célestins et le Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation proposent d’engager une réflexion sur la place et le rôle de la culture dans les régimes totalitaires avec l’historien Lionel Richard suivie d’une discussion en présence du metteur en scène David Gery et d’Isabelle Rivé, directrice du CHRD.

Le passé historique récent a montré comment des sociétés pouvaient être uniformisées en fonction des exigences du pouvoir en place. L’exemple le plus extrême est celui de l’Allemagne nazie. A partir de 1933, prétendument au nom des valeurs de la germanité, les nazis ont mis au pas l’ensemble de la culture allemande.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les tenants de valeurs humanistes ont tenté d’élaborer des institutions internationales sur des principes se situant aux antipodes de ces orientations destructrices. Le souci essentiel qui s’imposait en vue de construire l’avenir était la protection sociale de l’individu. Mais, au bout de plus d’un demi-siècle, l’idée d’une mise en condition, d’une mise au pas, est-elle vraiment morte, n’alimentant plus que le discours des historiens, ou, à la manière de Ray Bradbury avec son roman Fahrenheit 451 paru en 1953, l’imagination des auteurs de science-fiction ?…

Pour réserver : chrd.reservtion@mairie-lyon.fr
Pour en savoir plus : http://www.chrd.lyon.fr/chrd/sections/fr/event?id=1634
 

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