En ce mois de décembre plutôt difficile il faut bien le dire, Le Théâtre de la Ville se propose de dynamiter la morosité ambiante avec la première à Paris du spectacle de David Lescot « Une femme se déplace ».  Cette comédie musicale follement originale est une véritable célébration, une quête initiatique fantasque et jubilatoire  portée par une équipe émérite autour de la lumineuse Ludmilla Dabo. Le spectacle représente avec humour les carcans et absurdités de notre société au travers de l’histoire rocambolesque d’une femme et donne à voir une forme libérée des codes du genre d’où jaillit une joie communicative et persistante.

Georgia déjeune avec une amie dans le dernier restaurant à la mode, un lieu on ne peut plus branché où le concept a de quoi faire sourire, tous les aliments seront sans saveurs. Tandis que les serveurs défilent dans un ballet pour le moins intéressant, présentant tour à tour eau minérale totalement plate et surtout sans goût, ou autres mets à base de navets et de courgette bouillie, les deux amies badinent et se racontent leurs vies.À Georgia indéniablement tout semble sourire, famille, amour, argent, travail, elle a tout. Mais son smartphone, objet du siècle et extension naturelle de son bras ne cesse de sonner et de dévoiler à chaque fois une nouvelle catastrophe piétinant de plus en plus la douce illusion du bonheur. Cet objet iconique n’en finit pas de révéler ses secrets puisqu’il va lui permettre par un procédé jubilatoire de voyager dans le temps. À la lumière de son passé Georgia rectifie peu à peu le tir, ouvrant le champ de ses émotions, renouant avec son histoire et ses démons pour écrire son futur avec sérénité.

Ce spectacle c’est avant tout un magnifique portrait de femme, une de ces femmes fortes et belles qui possèdent en apparence tout pour être heureuse. Oui, mais voilà quand on gratte un peu le vernis il se craquelle lentement et révèle ses défauts fragiles et touchants. C’est cette révélation sublime et émouvante, cette épiphanie que David Lescot nous dessine et pour cela il sait mettre la forme. Quelle joie dans ce récit, quelle force dans l’interprétation haute en couleurs de tous ces personnages et quel travail minutieux de coordination. Les tableaux sont au cordeau, ils s’enchaînent à la perfection dans un rythme endiablé, visuellement épurée la scénographie laisse la part belle aux acteurs et aux partitions chantées ou dansées qui font mouche à chaque fois. La distribution est absolument éclatante, Ludmilla Dabo règne en déesse dans ce chaos, les prestations hilarantes de Candice Bouchet et Antoine Sarrazin donnent le tempo de nos rires tandis qu’Emma Liégois nous émeut profondément. David Lescot respecte ici le genre, il s’approprie la comédie musicale dans sa capacité à aborder avec légèreté des thématiques concrètes et réelles, mais pour autant il se joue également de certains de ses codes pour totalement inventer sa propre écriture scénique du musical. Il en résulte une forme profondément moderne, un tableau juste et très précis d’une époque, et un hommage vibrant à la femme d’aujourd’hui incarnée avec maestria par l’incandescente Ludmilla Dabo. Le spectacle est une invitation au fantasque, il nous exhorte à rêver nos vies et à y injecter toujours plus de fantaisie et surtout de liberté. On en sort le sourire au lèvres, le corps et le coeur légers encore prêts à battre la mesure, quelques airs entraînants à nos oreilles, la joie reste. Ça fait du bien.

Audrey Jean

« Une femme se déplace »
TEXTE, MUSIQUE & MISE EN SCÈNE David Lescot Cie du Kaïros
CHORÉGRAPHIE Glysleïn Lefever, ASSISTÉE DE Rafael Linares Torres
DIRECTION MUSICALE Anthony Capelli
AVEC Candice Bouchet, Élise Caron, Pauline Collin, Ludmilla Dabo, Marie Desgranges, Matthias Girbig, Alix Kuentz, Emma liégeois, Yannick Morzelle, Antoine Sarrazin, Jacques Verzier
MUSICIENS Anthony Capelli BATTERIE, Fabien Moryoussef CLAVIERS, Philippe Thibault BASSE, Ronan Yvon GUITARE

Théâtre de la Ville Les Abbesses 
Jusqu’au 21 Décembre 

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