Le théâtre de la Colline met à l’honneur pour sa rentrée une pièce passionnante de Iouri Olecha. Cette œuvre présente une société russe dévorant ses propres enfants. Cette parabole,  toute en nuances, traduit une société déshumanisée qui rappelle le régime stalinien. Mais cette comparaison ne s’arrête pas là, les sentiments y figurent en bonne place. Symboles de subversion, ils sont susceptibles de conspirer à l’ordre établi et ils représentent un danger permanent.  La mise en scène aérée de Bernard Sobel apporte à l’œuvre un rendu puissant et profond à ce thème historique.  

 Cette pièce, à travers la lutte fratricide que se livrent Andreï et Ivan Babitchev, est transposée dans une société qui passe de la vieille Russie à l’Empire des Soviets. Ces deux personnages sont accompagnés par Nicolas Kavalerov, un étudiant alcoolique et  errant. Cet homme dit « inutile » est recueilli par Andreï, entrepreneur préfigurant ainsi le libéralisme économique que prônera plus tard l’occident.

 La mise en scène de Bernard Sobel traite cette Å“uvre de façon totalement burlesque et décalée. Réservant au public des clins d’oeil tirés d’un répertoire très large ou Moliere, Shakespeare ou Tchekhov appraissent dans cette pièce avec a-propos. Offrant à Ivan le soin de présenter le complot qu’il a ourdi, où, muni de son oreiller il se présente de place en place afin de proposer sa « machine à émotions ». Mais le Système annihile les pensées et étouffe les sentiments. Telle est la description faite par Iouri Olecha de cette Russie de 1928 qui prend pour cible une petite communauté de personnages aussi différents les uns des autres. Deux frères avec des destins opposés constituent le monde russe de l’époque. Cette allégorie traduit la résistance à ce nouvel ordre russe. Des sentiments subversifs pouvant susciter la déstabilisation de ce régime. Des émotions qui appartiennent à l’ancien monde. Une Russie moderne est née faisant fi de ces sentiments bourgeois.

  Mais Nicolas Kavalerov dont l’existence même est contestée par cette société pose un problème endogène car il est porteur d’anciennes valeurs, de sentiments. Paradoxalement, cet homme d’hier est donc inutile car il porte en lui le germe de l’homme de demain. Il revêt la forme d’une certaine résistance face au joug socialiste qui tyrannise et asservit les masses. L’auteur introduit ici la notion d’indestructibilité des émotions. Celles-ci demeurent la base unitaire des hommes, quelles que soient les idéologies.

 Kavalerov est l’homme idéal pour Ivan dont le dessein avoué est de tuer son frère. Le jeune homme échouera dans sa tentative, prisonnier des sentiments qui l’animent. Il finira en hopital psychiatrique. 

La scénographie est composée de structures mobiles établissant des rapports urbains à travers les différentes scènes. Ce décor se fond à merveille dans l’histoire. L’interprétation des comédiens est juste et efficace apportant au compte tenu de cette fable un ensemble bien ficelé. La dernière image conservée par les spectateurs est ce ballon blanc gonflé qui rebondit mollement sur le sol appelant de ces vœux l’espoir d’un autre monde, un monde meilleur.

 

Laurent Schteiner

 

L’homme inutile ou la conspiration des sentiments de Iouri Olecha

Mise en scène de Bernard Sobel

Avec, Amine Adjina, John Arnold, Pascal Bongard, Eric Castex, Ludmilla Dabo, Magalie Dupuis, Claude Guyonnet, Sabrina Kouroughli, Vincent Minne et Romain Pellet

 

Théâtre de la Colline –théâtre National

15 rue Malte-Brun

75020 Paris

Tel : 01 44 62 52 52

www.colline.fr

 

Du 9 septembre au 8 octobre 2011

Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30

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