Le Lucernaire nous propose actuellement une pièce magnifique et troublante de David Harrower. Ce huis clos mis en scène de façon magistrale par Régine Achille-Fould nous force à traverser le miroir et nous confronter à l’indicible. Entre ombre et lumière, n’y aurait-il pas une autre voie toute aussi dérangeante ? Servie par deux excellents comédiens cette pièce forte ne peut laisser personne indifférent.
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Le début de cette histoire met en présence Ray sur son lieu de travail, proche de la soixantaine avec une jeune femme venue à sa rencontre, la rage au cœur. Après dix-huit ans de séparation et de silence, ils se retrouvent.
Les dialogues sont haletants et hésitants. Entre allusions, interrogations et provocations, le propos se livre peu à peu comme une pelote de laine que l’on dévide. L’argument de ce spectacle nous tient en haleine tant la tension qui en émane s’accroit jusqu’à la fin. Le rendu de la mise en scène est très précis. Les personnages sont tout à la fois forts, fragiles, détestables et beaux. Ils émanent d’eux une puissance scénique qui nous accapare totalement. On est submergé par une telle sincérité qui nous trouble tout au long de cette pièce. Ils sont au bord du gouffre et continuent d’aimer et de souffrir. Leur vécu nous pétrifie. David Harrower nous attire ici dans les replis nauséabonds de l’âme humaine. Mais sa force est de nous laisser entrevoir une situation inattendue qui fausse notre entendement pré-formaté des choses. La question demeure en suspens car en bon dramaturge il ne nous fournit guère les clés. Comment ne pas noter cette joyeuse folie qui s’empare des protagonistes lorsqu’ils dispersent les détritus qui jonchent le sol comme un pied de nez au destin qui les a souillés. Cette réalité proposée par David Harrower nous permet de nous accrocher à des illusions que l’on veut croire. Un prisme déformant la réalité et qui appelle sans doute un désenchantement final.
Les comédiens sont excellents et sont empreints d’une authenticité qui nous fait vaciller sur nos propres fondements. Ce spectacle, une fois achevé, alimente le débat en posant des questions non neutres de société. Cette pièce d’une grande qualité est voir de toute urgence.
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Laurent Schteiner
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Blackbird de David Harrower
Mise en scène de Régine Achille-Fould
Traduction de Zabou Bretman et Léa Drucker
(L’Arche est éditeur et agent théâtral du texte)
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Avec Charlotte Blanchard, Yves Arnault et Albertine Villain-Guimmara
Lumières : Charly Thicot
Costumes : Sylvie Berthou
crédit photos : P.François
Lucernaire
53 rue ND des Champs
75006 Paris
Résa : 01 45 44 57 34
Du 28 novembre 2012 au 19 janvier 2013
Et aussi chez L’Arche éditeur :
ISBN : 978-2851816641
L’Arche éditeur
86 rue Bonaparte
75006 Paris