Edward Bond a choisi de présenter dans une œuvre percutante Shakespeare sous un jour nouveau. Présenter le célèbre dramaturge dans une pièce dont il est lui-même le héros est une curiosité en soi. Le sous-titre de cette pièce « Scène d’argent ou de mort » nous transporte aux prémisses de la révolution industrielle en Angleterre. Le mouvement des « enclosures » a privé les petits paysans de leurs moyens de subsistance en délimitant les terres des riches propriétaires. Cette main d’œuvre a quitté les campagnes pour grossir dans les villes les rangs des ouvriers. La naissance de cette révolution constitue le point de départ de cette pièce.

Edward Bond s’amuse avec la réalité historique en mêlant Shakespeare à des compromis financiers et sociaux. Dans Bingo, Bond souligne que le pouvoir de s’exprimer tient à la faculté d’écrire des « œuvres d’art » ou des manuscrits. Le pouvoir de faire, de décider passe par l’écriture et donc l’éducation, la culture et l’argent. Si dans cette œuvre, les personnages livrent ouvertement leurs peines ou leurs difficultés existentielles, il n’en demeure pas moins qu’ils buttent sur l’écrit ou la lettre, un obstacle infranchissable.

Mais l’argent demeure le seul élément d’un langage universel et indestructible susceptible dans un même temps de pourrir les rapports qu’il a préalablement initiés entre les individus. « Je t’ai aimée avec de l’argent » (Shakespeare à sa fille).

 La pièce tourne autour du verbe « s’offrir », se permettre, avoir les moyens de (to afford en anglais). Pour Bond, « avoir les moyens de parler, de trouver une réponse à l’étouffement d’une société inhumaine et aveugle constitue l’essentiel ». « Sommes-nous les seuls à pouvoir nous offrir la vérité ? » se demande Shakespeare. Son suicide est la réponse à la révélation de s’être payé de mots en écrivant ses pièces.

 

Laurent Schteiner

 

Bingo d’Edward Bond

ISBN : 2-85181-338-2

13 €

l’Arche Editeur

86 rue Bonaparte

75006 Paris

www.arche-editeur.com

 

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